6 février 2007

Quelle signification donner aux interpellations en cours

La lettre du mois
mars 2006


LUTTE CONTRE LA CORRUPTION AU CAMEROUN : QUELLE SIGNIFICATION DONNER AUX INTERPELLATIONS EN COURS ?

Les anciens directeurs généraux de la SIC, du CFC, du FEICOM, de la SODECAO et du port autonome de Douala ont été interpellés et mis à la disposition des autorités judiciaires sur instructions du Chef de l’Etat. Il leur est reproché la mauvaise gestion des sociétés dont ils avaient la charge. La question se pose donc de savoir quelle signification donner à ces interpellations : changement stratégique dans la lutte contre la corruption au Cameroun ou simple manœuvre liée à la conjoncture sociale, économique et politique.

En faveur de la thèse « tempête dans un verre d’eau », on ne peut manquer d’évoquer l’arrestation, il y a quelques années, de MM. Mounchipou Seydou, Engo Désiré, Edzoa Titus. A l’évidence, ces arrestations - qui à leur époque avaient été présentées comme de hauts faits d’armes dans la lutte contre la corruption et salués comme tels par l’opinion - n’ont finalement eu aucun impact sur la façon dont sont gérées les finances publiques au Cameroun. Second argument : la non application, dix ans après la promulgation de la Constitution de janvier 1996, de son article 66 qui prescrit la déclaration de leurs biens à tous les bénéficiaires d’une charge publique importante. Il y a aussi cette inertie voulue et entretenue de la Justice, du Contrôle Supérieur de L’Etat et de toutes les autres instances chargées, à un niveau ou à un autre, du contrôle de la gestion des fonds publics. A cette inertie est venue se superposer la mauvaise orientation stratégique donnée au Comité Ad Hoc, à l’Observatoire et aux Cellules Ministérielles de Lutte contre la Corruption, mauvaise orientation stratégique qui rend compte du manque d’efficacité de ces structures. Autre élément qui n’incite pas à l’optimisme : l’hypothèse forte et crédible d’une action impulsée du dehors par les bailleurs de fonds internationaux, point d’achèvement de l’Initiative Pays Pauvre Très Endetté oblige. Citons encore la survenue pour le moins tardive de la décision du Chef de l’Etat qui a longtemps tergiversé et fermé les yeux sur la gestion peu orthodoxe des finances publiques. On ne peut manquer de rappeler ici cette malheureuse sortie médiatique dans laquelle il avait exigé que les preuves de la culpabilité des gestionnaires indélicats lui soient fournies on ne sait trop par qui. Last but not least, les interpellations actuelles ne semblent pas s’inscrire dans un cadre programmatique et stratégique clairement défini et dont la transparence pourrait permettre de prévoir la suite des évènements, si tant est que suite des évènements il y aura.

En faveur de l’hypothèse d’un tournant décisif dans la lutte contre la corruption, il y a lieu de considérer le fait que MM. Emmanuel Ondo Ndong, Joseph Edou, Gilles Roger Belinga, Siyam Siewe, … et leurs acolytes sont ce qu’il est convenu d’appeler des baleines. Aussi, il y a eu, ces derniers temps, comme une montée en gamme, à défaut de radicalisation, du discours du Chef de l’Etat en matière de lutte contre la corruption. Sa dernière allocution à Monatélé le 5 octobre 2004 constitue de ce point de vue une référence. Il y affirme avec force sa volonté de mettre bon ordre à la gestion de la chose publique en tordant le cou à la corruption. Cet engagement sera réitéré avec fermeté dans le discours à la Nation du 31 décembre 2005. On se souvient aussi de ce que dans le cadre du Plan National de Gouvernance Révisé qui couvre la période 2006-2010, Plan National de Gouvernance Révisé qui a été porté sur les fonts baptismaux le 29 novembre 2005, des instructions ont été données pour redynamiser les cellules ministérielles de lutte contre la corruption et mettre à leur disposition des moyens financiers conséquents. Par ailleurs, les membres de la Chambre des Comptes de la Cour Suprême viennent d’être nommés et installés. Dans la foulée, l’Agence Nationale d’Investissement Financière présentée par le Chef de l’Etat dans son discours de fin d’année 2005 comme une structure de lutte contre la corruption - mais qui en fait s’occupe de la lutte contre le blanchiment de l’argent sale - a démarré ses activités. Et il y a quand même ces arrestations dont la symbolique ne doit pas être sous-estimée : tous ceux qui ont été arrêtés sont de grands zélateurs de M. Paul Biya et d’éminents RDPCistes. Enfin, il semble difficile de croire que le Chef de l’Etat n’ait pas une claire conscience qu’il joue ici une carte qui déterminera en partie le souvenir que l’histoire gardera de sa personne. Des attentes ont été suscitées et ces attentes ne doivent pas être déçues: le peuple est en effet témoin et victime du pillage des ressources de l’Etat et il a ses listes. Il souhaite que tous les kleptocrates soient interpellés, confondus et condamnés mais surtout, il exige que la richesse mal acquise soit confisquée et reversée dans le patrimoine national.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, il semble bien difficile de se prononcer sur la signification profonde et la finalité réelle des dernières arrestations. Si celles-ci donnent des raisons d’espérer, beaucoup de questions restent sans réponse et beaucoup de zones d’ombres subsistent pour affirmer, sans risque de se tromper, que la lutte contre la corruption a véritablement pris un tournant décisif dans notre pays. La question du scénario retenu par le Chef de l’Etat par exemple n’est pas sans importance or, nous ne savons rien de ce scénario. La marge de manœuvre de l’institution judiciaire et de toutes les instances chargées du contrôle de l’orthodoxie de la gestion des ressources de l’Etat est-elle significativement plus grande aujourd’hui? Accordera-t-on désormais plus d’attention au choix, au contrôle, à la sanction et à l’ascension du personnel politique et administratif? Autant de question et d’autres auxquelles on ne peut aujourd’hui apporter des réponses claires, explicites et sûres, et qui pourtant déterminent tout jugement objectif sur la question de la lutte contre la corruption au Cameroun.

BEFIDI Jeanne Marie Bernard
Professeur de philosophie
Présidente de Voies Nouvelles

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