8 février 2007

La corruption au Cameroun:un phénomène banal

La lettre du mois
août 2006


LA CORRUPTION AU CAMEROUN: UN PHENOMENE BANAL.

A la suite des travaux de l’ONG Transparency International, l’indice de perception de la corruption est devenu un indicateur important pour caractériser le niveau de corruption dans un pays donné. Se fondant sur ce principe, Voies Nouvelles s’est attaché à faire ressortir comment les élèves appréhendent le niveau de banalisation de la corruption au Cameroun. La question leur a donc été posée, celle de savoir si la corruption est un phénomène très courant, courant, rare ou très rare.

A l’évidence, malgré les campagnes de communication gouvernementales, la corruption demeure un phénomène banal au Cameroun. Une très large majorité des élèves interrogés, soit 85%, considère en effet qu’il s’agit d’une pratique « très courante »tandis que 15% estime que la corruption est un phénomène juste « courant ». C’est dire, en d’autres termes, que pour l’ensemble de notre échantillon, la corruption est loin d’être considérée comme une pratique rare puisque, aussi bien, les catégories « très courant » et « courant » rassemblent cent pour cent des opinions exprimées.
Une telle unanimité autour d’un phénomène social pratiqué à ciel ouvert et observable à tous les coins de rue ne surprend guère. Au Cameroun, l’expression « dessous de table » qui tendait à mettre en exergue le caractère secret des actes de corruption est en train de perdre tout son sens et peut – être faudra – t- il désormais parler de « dessus de table ? ». La particularité de la corruption au Cameroun tient d’ailleurs à ceci qu’elle se pratique de plus en plus au vu et au su de tout le monde. Ici, pour corrompre ou se faire corrompre, point n’est besoin de se cacher. Et l’expression de défi lancée à qui s’offusquerait ou se scandaliserait au spectacle de telles pratiques jugées peu orthodoxes sous d’autres cieux est connue de tous : « Va dire ! » ; une manière de faire comprendre à son interlocuteur que la pratique de la corruption est sans danger sous nos cieux.
Pour se convaincre de la vérité de ces assertions, il suffit de prendre place à bord d’un taxi dans l’une de nos métropoles et observer le spectacle désolant des hommes en tenue, policiers ou gendarmes, qui arnaquent les conducteurs à qui mieux mieux et sans pudeur aucune. Tant le décor que les acteurs et le scénario de ces spectacles ubuesques qui restent la meilleure preuve de l’incapacité de nos dirigeants à combattre efficacement le cancer de la corruption demeurent immuables. Une planche bardée de clous qui barre la chaussée sur toute la largeur de la bande laissée à la circulation (il faut en effet s’assurer que le conducteur du véhicule sur lequel le dévolu a été jeté, taxi, car de transport ou camion de marchandise de préférence sera obligé d’ « obtempérer »). Un coup de sifflet rageur et péremptoire, l’ordre qui est intimé de la main de se ranger sur le bas côté de la route. Le conducteur blasé et résigné qui sort de son véhicule et se dirige vers l’homme en tenue resté en retrait, un billet de banque qui change subrepticement de main et le tour est joué. Notre pauvre chauffeur peut repartir, convaincu que la vie est ainsi faite que les hommes en tenue ont le droit de s’engraisser sur le dos des pauvres transporteurs. Tout le long de la journée, cette scène va se répéter des dizaines, voire des centaines de fois. Les numéros des cars de transport qui se sont acquittés du paiement de ces frais de péage informels sont soigneusement notés dans un calepin, et gare au chauffeur qui tentera de jouer au plus malin en refusant de « cotiser ».
Beaucoup de responsables de la Sûreté Nationale ont pourtant essayé de mettre fin à ces pratiques d’autant plus affligeantes qu’elles donnent du Cameroun une image peu flatteuse. Beaucoup ont essayé disons – nous, mais aucun n’y a véritablement réussi. La difficulté qu’il y a en effet à moraliser nos hommes en tenue est de notoriété publique. Elle a plusieurs fois incité la haute hiérarchie de la police et de la gendarmerie à interdire les barrières fixes ou à proscrire les contrôles routiers pendant une période de la journée au moins. Ces mesures n’ont cependant jamais tenu très longtemps, surtout lorsqu’elles prennent la forme radicale de l’interdiction pure et simple des contrôles routiers. Des pressions tendant à maintenir ou à faire revenir les hommes en tenue sur la route deviennent pour ainsi dire irrésistibles. Lorsque ce ne sont pas les bénéficiaires directs de ces opérations pas très orthodoxes qui font pression pour ne pas quitter leur terrain de chasse favori, ce sont d’autres corps de métier, à l’instar des assureurs, qui incitent à la multiplication des contrôles routiers tant décriés. Il faut en effet amener les propriétaires de véhicules à contracter une assurance et seuls les contrôles de police ou de gendarmerie peuvent les y contraindre. Le problème du non règlement des sinistres par les assureurs est en effet tel au Cameroun que les propriétaires de véhicules ne voient dans l’assurance qu’une simple formalité administrative. Que les barrages de police ou de gendarmerie soient donc interdits et le chiffre d’affaire des assureurs - dont l’utilité sociale n’est véritablement prouvée que par rapport à leur statut de créateur d’emplois et surtout de contribuable - chute vertigineusement.
Nous parlons de la police et de la gendarmerie qui, à l’évidence, influencent négativement la perception que les élèves ont du niveau de banalisation de la corruption au Cameroun. Nous aurions aussi bien pu parler de nos médecins et autres spécialistes de la santé qui multiplient les manœuvres pour extorquer de l’argent aux malades dans les formations sanitaires publiques, quand ils ne les détournent pas purement et simplement dans les cliniques privés où ils peuvent à loisir leur faire rendre gorge. Les magistrats ne sont pas en reste, eux dont la corruption a été le thème de maints discours du Chef de l’Etat. Et que dire de l’entrée dans nos grandes écoles de formation dont on sait qu’elle n’est plus conditionnée aux seuls critères académiques. Comment expliquer la sortie de terre comme des champignons de toutes ces villas et immeubles cossus. Comment expliquer la présence sur nos routes de toutes ces 4x4 plus rutilantes les unes que les autres ? Les fonctionnaires de la haute administration détiennent au Cameroun le secret de la réussite éclair. De cela aussi, nous aurions pu parler pour tenter d’expliquer qu’aujourd’hui, nos jeunes rangent la corruption dans la classe des phénomènes banals. Nous restons cependant persuadés que dans la situation qui est aujourd’hui celle du Cameroun, la seule question qui vaille encore vraiment la peine d’être posée est celle de savoir s’il subsiste un espace ou un corps de métier non gangrené par la corruption.
L’école, ce haut lieu de l’éducation et de la formation des citoyens, est devenue au fil des ans un véritable centre d’ « affaires » ; la corruption, le faux, la magouille et le trafic d’influence y ont élu domicile. La famille ne peut plus être présentée comme un rempart dans la lutte contre la corruption puisque, aussi bien, les parents eux-mêmes sont trempés dans des problèmes de falsification des actes de naissance ou de bulletins de notes de leurs enfants. Ce sont eux, les parents, qui négocient les places dans les lycées à coup de francs CFA ; eux qui achètent l’entrée dans les grandes écoles, eux encore qui soudoient les correcteurs et membres des différents jurys d’examens…
Au Cameroun, même l’Eglise de Dieu n’offre plus les garanties de probité morale qu’on était en droit d’en attendre. Les prêtres sont aujourd’hui de véritables hommes d’affaires qui « gagnent » des marchés publics, se soumettent aux règles de corruption qui ont cours en ces milieux et sont impliqués dans de sombres affaires de marchés fictifs ou de chantiers abandonnés…comme tout le monde. L’école publique de Nkolseng I dans la LEKIE que nous avons eu l’occasion de visiter au cours d’une enquête sur le suivi indépendant de l’exécution du budget de l’Etat offre le triste spectacle d’un chantier de salles de classe abandonné par un prêtre dont l’affairisme notoire et la corruption l’ont conduit à séjourner quelques temps dans les geôles infectes de Kondengui. Et que dire des récurrentes querelles de gombo dans nos consistoires ! Les pasteurs n’ont qu’un seul rêve : se retrouver dans une paroisse à ministres… et y rester à vie et à tout prix. Tous les principes éthiques sont alors foulés au pied et sacrifiés à l’autel de cet objectif égoïste. Tous les coups sont permis, même les plus tordus et la corruption n’est pas en reste bien sûr, au nom du sacré gombo.

Otombita Neville Chamberlain

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