2 mars 2007

Echecs scolaires:le temps des boucs émissaires

La lettre du mois
mars 2007

ECHECS SCOLAIRES : LE TEMPS DES BOUCS EMISSAIRES

La publication du palmarès 2006 des établissements scolaires par l’Office du Baccalauréat du Cameroun a donné lieu à deux types de réactions dans le quotidien Cameroon Tribune: autosatisfaction légitime chez les uns, tentatives maladroites de justification chez les autres. Dans cette dernière catégorie, la réaction du proviseur du lycée de Kousseri dont l’établissement est classé 575ème sur 576 nous semble mériter un arrêt, tant elle est symptomatique de la tournure d’esprit de ceux qui gèrent les affaires publiques dans notre pays.
Il est en effet courant, lorsque les différents responsables de notre administration sont interpellés sur un sujet d’intérêt public, comme c’est le cas ici pour les échecs scolaires, d’en distribuer également la responsabilité entre les différents acteurs. Consciemment ou non, l’objectif recherché est de noyer le poisson et occulter la responsabilité en dernière analyse de l’Etat et des pouvoirs en place. La plupart du temps, la palette des coupables est restreinte à quelques boucs émissaires vite trouvés, des populations sans – voix ou des groupes ectoplasmiques, qui ne risquent pas de porter la contradiction, ou dont on ne peut redouter des représailles d’aucune sorte. Et pour ne pas avoir à mettre le doigt dans la plaie, appeler le chat par son nom, interpeller les vrais responsables, les vrais coupables peut-être aussi, on louvoie, on finasse, on tourne autour du pot, on use le plus habilement possible de l’amalgame et de la langue de bois. Surtout, ne pas donner l’impression de s’en prendre à la hiérarchie, à l’autorité établie. Cela pourrait être considéré comme de la subversion, de l’irresponsabilité, un grave manquement au devoir de réserve…et vous coûter votre casquette.
A en croire Cameroon Tribune du lundi 19 février 2007, le proviseur du lycée de Kousséri qui porte le bonnet d’âne des établissements publics, impute le mauvais classement de son établissement à la paresse des élèves et à la complaisance des parents. « Nous ne contestons pas le palmarès, mais il faut savoir que le gros de nos candidats ne s’intéresse pas au bac camerounais. Ils viennent attendre la date des examens du bac tchadien », explique doctement Edouard Sadou. Au détour de l’interview cependant, l’on apprend que les conditions climatiques de l’Extrême – Nord ne sont pas particulièrement favorables aux études ; que le lycée de Kousséri n’a ni laboratoire ni bibliothèque ; que le personnel enseignant, en nombre insuffisant, peu qualifié et démotivé, ne tient pas en place et que les programmes ne sont jamais menés à leur terme. Notre proviseur reconnaît que depuis deux ans, son lycée n’a pas de professeurs de maths, d’espagnol et d’allemand. Les cours d’anglais sont dispensés par un « homme de culture anglophone formé dans une autre matière ». Le remplacement de deux surveillants généraux cooptés pour aller brouter ailleurs une herbe moins sèche et rêche reste attendu.
Comment, devant une telle litanie de manquements et de carences objectives - qui rendent compte à suffire des échecs massifs au lycée de Kousséri sans qu’on ait besoin d’accabler les pauvres élèves et leurs parents - comment donc, disions – nous, s’étonner que les élèves harcèlent les enseignants pour acheter les notes ou traversent le Logone pour aller chercher à Ndjamena un bac qu’ils ne peuvent normalement préparer et obtenir dans leur pays ? Le proviseur du lycée de Kousséri se doit de réfléchir longuement au concept de « cause » et se poser la question de savoir si le manque d’engouement aux études de ses élèves n’est tout simplement pas la conséquence des carences infrastructurelles, humaines et pédagogiques qu’il signale lui-même. Un établissement scolaire ne peut obtenir de bons résultats s’il ne réunit pas un minimum de ressources au plan infrastructurel, humain, matériel et financier. Et lorsque ces ressources viennent à manquer à un lycée, c’est aux pouvoirs publics qu’il faut demander des comptes, au lieu de chercher des poux sur la tête de pauvres hères qui n’en demandaient pas tant. Toute insuffisance en quantité ou en qualité des ressources éducatives se paie cash au plan de la performance des élèves. Les défaillances de l’Etat dans ce domaine se traduisent concrètement par l’absentéisme et la démotivation des enseignants, des classes surchargées, la non dispensation partielle ou totale de certains cours, le manque de matière d’œuvre, des programmes couverts à moitié… et, bien sûr, un climat psychologique et disciplinaire peu favorable au travail. La responsabilité de l’Etat et de ceux qui le représentent est d’autant plus engagée dans la survenue des échecs scolaires que c’est l’Etat qui détermine les conditions générales du comportement de chaque acteur sur le terrain ; c’est lui qui détermine les conditions générales de dispensation des savoirs ; c’est lui qui fixe les conditions et les critères d’évaluation. Le taux de réussite particulièrement bas dans l’enseignement technique (37,61%) doit donc, de ce point de vue, être considéré comme un reflet fidèle de la politique velléitaire des pouvoirs publics dans ce domaine précis et un indicateur fiable de la faiblesse des ressources allouées à cet ordre d’enseignement. Dans ce contexte, réduire les performances des établissements scolaires à un problème de convivialité et affirmer, comme le fait Nicodème Akoa Akoa, directeur de l’enseignement secondaire général au MINESEC, que « le rendement d’un établissement dépend (…) de la qualité des rapports qui existent entre les parents d’une part, les élèves, les enseignants et les chefs d’établissement de l’autre » et reconnaître néanmoins, à la suite de cette affirmation, que les établissements éprouvent de sérieuses difficultés pour réunir les ressources nécessaires à leur bon fonctionnement ne nous semble pas particulièrement génial.

Otombita Neville Chamberlain