22 février 2007

Dans les eaux troubles des associations des parents d'élèves



La lettre du mois
février 2007

DANS LES EAUX TROUBLES DES ASSOCIATIONS DES PARENTS D’ELEVES.

Instrumentalisées par l’administration, des moyens financiers importants, un statut juridique boiteux, des objectifs flous, un mode de recrutement autoritaire, un fonctionnement et une gestion opaques, etc. Au sens de la loi, les associations des parents d’élèves sont tout…sauf des associations !

Commençons par leur mode de recrutement pour dire que l’image qui nous vient tout de suite à l’esprit est celle, honnie et lugubre, de Mobutu Sese Seko Kuku Mbgnendu Wa Za Banga de l’ex – Zaïre. Ce dictateur de triste mémoire se plaisait à répéter à ses compatriotes qu’ils étaient tous membre du MPR( ), qu’ils le veuillent ou non». Au Cameroun de M. Paul Biya aussi, qu’on le veuille ou non, on est membre de l’Association des Parents d’Elèves de l’établissement fréquenté par sa progéniture. Il s’agit d’une adhésion mécanique, obligatoire, autoritaire, formellement constatée par le payement forcé de cotisations décidées arbitrairement et à votre insu à chaque rentrée scolaire. Aucun parent d’élève ne peut se soustraire à ce « devoir civique » dont dépend l’inscription ou la réinscription dans les établissements scolaires. On ne peut en effet s’acquitter des frais d’inscription et de scolarité proprement dits tant que les cotisations dues à l’Association des Parents d’Elèves n’ont pas été payées. Et autant d’enfants, autant de passages à la caisse. Or, le principe fondamental de toute association digne de ce nom est l’adhésion volontaire de ses membres. Il faut malheureusement se résoudre à constater que les APE foulent allègrement ce principe de base aux pieds. A cause de cela, elles s’exposent à ne pas être considérées comme des associations démocratiques. Et de fait, les APE ne sont pas des associations démocratiques. Elles ne sont pas des associations tout court au sens de la loi n°90 – 053 du 19 décembre sur la liberté d’association, même si leur utilité est par ailleurs avérée.

Ce qui est aujourd’hui connu sous la dénomination Associations des Parents d’Elèves, APE en abrégé, avait été institutionnalisé sous l’appellation Association des Parents d’Elèves et d’Enseignants (APEE) par arrêté interministériel n° 242/L 729/MINEDUC, MJS du 25 octobre 1979. Ces structures se donnaient alors pour mission :
  • d’assurer l’encadrement et le suivi des élèves ;
  • de contribuer au suivi des enseignants et à l’amélioration des conditions de travail de ces derniers ;
  • de contribuer à la résolution de tout conflit lié à l’école (entre parents, enfants, chef d’établissement, enseignants) ;
  • d’instaurer une solidarité de proximité (organisation de l’entraide scolaire, aide à la scolarisation des enfants démunis, amélioration des conditions de travail et de logement des enseignants, approvisionnement de la pharmacie scolaire, désenclavement de l’accès à l’école, etc.) ;
  • de contribuer à la réalisation d’activités post et périscolaires à caractère éducatif (activités sportives et socioculturelles, transmission du patrimoine culturel, causeries éducatives, colonies de vacances, cantines scolaires, etc.) ;
  • de contribuer au développement et à l’entretien du patrimoine de l’école (bâtiments, mobilier, manuels scolaires, matériels pédagogiques, etc.) ;
  • de contribuer au développement d’un environnement scolaire sain : latrines, point d’eau potable, salubrité, contrôle des aliments vendus aux élèves, plantations et environnement, etc.

Tous ceux qui ont cependant eu à s’intéresser un tant soit peu aux APE sont invariablement arrivés à la conclusion qu’elles ne servent qu’à capter les fonds nécessaires au fonctionnement des établissements scolaires. Cette fonction d’organe de soutien, de béquille financière des établissements scolaires a aujourd’hui largement supplanté la fonction originelle d’animation pédagogique qui était dévolue aux APEE. L’éclipse du volet pédagogique des APEE s’est elle- même traduite par la minimisation, voire l’annulation du rôle et de la place des enseignants dans les APEE. Dès lors, celles-ci sont devenues des APE. Dans une interview parue dans Cameroon Tribune du 23 janvier 2007, Nicodème Akoa Akoa, directeur de l’Enseignement Secondaire Général au Ministère des Enseignements Secondaires, confirme que les APE sont nées de la volonté des parents d’accompagner l’école. Pour ce haut responsable en effet, il s’agit de regroupements à vocation essentiellement pédagogique conçus comme des cadres de concertation entre les parents et les enseignants. Force est cependant de constater avec lui que l’APE a été « déviée de cette vocation initiale pour devenir un organe d’appui financier au fonctionnement de l’établissement». C’est en effet aux Associations des Parents d’Elèves qu’il revient généralement de payer le personnel d’appui (vacataires, gardiens) et au-delà de cette mission, il leur est demandé de répondre à toute sollicitation du chef d’établissement en fonction de l’importance de leurs moyens financiers: construction de clôtures ou de salles de classe, achat de tables – bancs ou d’ordinateurs, etc.

L’importance des moyens financiers de l’APE ? On ne peut en juger qu’à l’occasion des scandales de gestion qui sont légions dans ces cercles quasi-maffieux. En cette année 2006 – 2007, on signale des détournements de l’ordre de 10 millions au lycée de Nkol-Eton, 17 millions au lycée de la Cité Verte et…50 millions au lycée d’Elig-Essono ! Et comment s’étonner de ces détournements lorsqu’on sait que la formation et le fonctionnement des bureaux des APE deviennent « une affaire très compliquée entre le chef d’établissement et une bande d’amis », à en croire Evangeline Juri Hiryenkla, « membre » désabusé d’une association des parents d’élèves de Yaoundé. Pour cet autre « membre » d’APE cité par Cameroon Tribune, « sur 10 élections des bureaux d’APE, 8 sont faussées. On sait d’avance qui est président du bureau. Les jeux sont arrangés à la base »

BEFIDI Jeanne Marie- Bernard

18 février 2007

L'actualité de la lutte contre la corruption au Cameroun:semaine du 12 au 18 février 2007

L’ACTUALITE DE LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION AU CAMEROUN

Semaine du 12 au 18 février 2007


1. OPERATION «EPERVIER »SUITE : L’EX-DG DE LA SIC CLOUE AU PILORI
L’audience du 13 février 2007 a apporté la confirmation que l’ex – DG de la Société Immobilière du Cameroun, Gilles Roger Belinga, s’était octroyé plus de domestiques que ne l’y autorisait son statut et que des employés du Ministère de la Ville étaient effectivement et indûment payés par la Sic. C’est l’avocat de cette société qui a en effet cloué l’ex – DG au pilori en précisant que : « M. Belinga n’avait pas droit à plus de sept personnes à son domicile. Pour le personnel affecté au Minville, il est établi que l’ex – DG a agi en violation des dispositions statutaires et même légales. En agissant ainsi, il a porté atteinte à la fortune publique.» Il ne fait point de doute qu’avec cette accumulation de preuves de la gestion scandaleusement indélicate de l’ex – DG de la Sic, des sanctions exemplaires seront prises à son encontre.

2. POUR LE COMMISSAIRE EUROPEEN LOUIS MICHEL, LE CAMEROUN A ENCORE DE GROS EFFORTS À FOURNIR SUR LE CHANTIER DE LA BONNE GOUVERNANCE.
Des sanctions. Voilà ce que réclame aussi Louis Michel, le Commissaire Européen au Développement et à l’Aide Humanitaire. Au cours d’en entretien tenu avec le ministre de l’Economie et des Finances, Polycarpe Abah Abah, en marge du Comité Ministériel Commercial élargi aux ministres ordonnateurs nationaux du FED, il a affirmé que le Cameroun a encore de gros efforts à faire, et surtout des sanctions à appliquer dans sa croisade contre la corruption. En conséquence, il a demandé aux dirigeants camerounais de poursuivre leurs efforts sur le chantier de la bonne gouvernance. D’importantes enveloppes incitatives supplémentaires sont prévues à cet effet, a –t- il affirmé.

3. LES HOMMES EN TENUE A L’HEURE DE LA MORALE.
Lors de la traditionnelle cérémonie de présentation des vœux de nouvel an, le Délégué Général à la Sûreté Nationale, Edgard Alain Mebe Ngo’o, a reconnu que beaucoup restait à faire dans le cadre de l’assainissement du comportement tracassier et corrompu des éléments du corps de la police. C’est à peu de chose près le langage tenu par le Secrétaire d’Etat à la défense chargé de la gendarmerie, Jean Baptiste Bokam, lors d’une réunion regroupant les commandants des régions et les commandants des légions de gendarmerie. Pour le SED en effet, les gendarmes doivent avant tout se débarrasser de certaines attitudes déplorables et notamment leur « penchant pour la recherche effrénée du gain », en vue de restaurer l’image de marque, voire le prestige d’un corps qui doit être un modèle.

4. LES GESTIONNAIRES DE L’UNIVERSITE DE YAOUNDE I A L’ECOLE DU BUDGET
L’assainissement des comportements était aussi à l’ordre du jour à l’Université de Yaoundé I. Lors du séminaire organisé à l’intention des gestionnaires des crédits de cette institution, son recteur, Mme Dorothy L. Njeuma, a en effet relevé pour le déplorer que « la majorité du personnel de l’Université de Yaoundé I se constitue en fournisseurs et prestataires de services, directement ou indirectement. Ils deviennent pour ainsi dire intéressés dans leur propre gestion ». La maîtrise des mécanismes du budget par ces gestionnaires des crédits semble donc être la voie privilégiée par Madame le recteur pour instaurer une gestion plus orthodoxe des marchés publics et éviter les conflits d’intérêts.

A la semaine prochaine.
BEFIDI Jeanne Marie - Bernard

14 février 2007

Education:le scandale des marchés publics non exécutés

La lettre du mois
octobre 2006

EDUCATION : LE SCANDALE DES MARCHES PUBLICS NON EXECUTES

Dynamique Citoyenne, le réseau très tendance de suivi indépendant des politiques publiques et des stratégies de coopération aura –t-il levé le lièvre en commanditant une « enquête sur le suivi physicio- financier de l’exécution du budget de l’Etat 2004, secteur éducation » ? C’est en tout cas ce que laissent croire les premières informations que nous avons ramenées du terrain. Les populations de Melen – Mengang, Lékié Assi, Ovang, Nkolseng I et Meyos dans la Lékié sont tombées des nues, en apprenant que des salles de classe, des latrines et des tables – bancs avaient été alloués à leurs villages respectifs deux ans plutôt
.
Lorsque notre petite équipe d’enquêteurs mandatée par le réseau Dynamique Citoyenne pour s’assurer de la réalisation effective des projets inscrits au budget de l’Etat 2004, secteur Education, arrive dans chacune de ces localités, elle est loin de se douter de ce qui l’attend. Aboui Marie, Okala Ebode et moi-même ne pensons qu’à reprendre notre souffle et à nettoyer, dans la mesure du possible, la boue qui tache nos vêtements et chaussures. Il est en effet question de respecter à la lettre les consignes de propreté et de correction reçues au cours de notre formation d’enquêteurs à Mbalmayo quelques jours plutôt. Plus facile à dire qu’à faire cependant.
Nous sommes en effet en pleine saison des pluies en ce début de mois d’octobre, et les pistes se révèlent être de véritables parcours du combattant : pentes raides et glissantes, chaussées cabossées, ravinées et fangeuses, ponts hasardeux … Rien n’est épargné à notre petite équipe qui doit visiter cinq des sept arrondissements que compte la Lékié : Ebedda, 0bala, Okola, Monatélé, Evodoula. Plusieurs fois notre véhicule s’embourbe, c’est pourtant un 4X4, et j’en viens sérieusement à douter de mes compétences de « pilote». Le savoir-faire des chauffeurs d’opep - qui s’improvisent encadreurs pas toujours bénévoles - nous est d’un grand secours. A Nkolfep, sur la route qui mène à Meyos et Nkolseng, j’apprends que pour sortir du caniveau dans lequel ma coéquipière et moi avons été littéralement aspirés, mieux valait ne pas trop appuyer sur l’accélérateur. « Si tu veux utiliser au mieux ton réducteur, n’accélère pas, va-y le plus lentement possible, molo molo » me conseille l’un des riverains venus nous prêter main forte. Le conseil porte ses fruits ; coût de l’expertise : 1000 francs !
Heureusement qu’en ces moments difficiles, la solidarité est le maître mot dans notre équipe. Et pour mettre la cale, pousser le véhicule ou enclencher à la main le moyeu du 4x4, tous les sexes se valent. Mademoiselle Aboui Marie, la seule femme du groupe, n’hésite pas à salir sa « paire basse » neuve et à retrousser ses beaux pagnes- qu’elle destinait certainement à des scènes plus mondaines- pour entrer dans la gadoue. Une panne de lame maîtresse survenue sur le trajet Okola - Ntuissong provoquera le déplacement du train arrière de notre Isuzu Trooper. Ce mouvement entrainera le serrement intempestif du frein à main ainsi que le blocage et le chauffage exagéré d’une des roues arrière. Résultat des courses : les garnitures, les cales de frein et un pneu hors service. Une fois de plus, nous sommes obligés de faire appel à l’expertise locale pour nous sortir de ce mauvais pas. Et c’est l’occasion d’ouvrir, mon chef d’équipe et moi, le chapitre « imprévu » de notre maigre budget, sous l’œil apitoyé du directeur du CES de Ntuissong qui nous offre une bouteille d’eau minérale. Qu’à cela ne tienne ! Nous faisons contre mauvaise fortune bon coeur et le même jour, nous nous engageons sur la route de Lekié - Assi.
A un kilomètre de notre destination, le train arrière de notre véhicule se déplace à nouveau. Les conséquences sont autrement plus graves ici: le relais de cardan du pont arrière s'est cassé et le cardan lui-même est sorti de la boîte de vitesses. Ce diagnostic, Okala et moi le posons après un tour sous le véhicule, le dos et la nuque plaqués au sol trempé à souhait. L’occasion nous est donnée de mettre en valeur nos talents de mécanicien. Il est en effet question de démonter ce cardan qui nous bloque mais… nous n’avons pas les bonnes clés. M. Okala se rend au hameau le plus proche, à presque un kilomètre de distance et nous ramène la solution du problème, une douze à pipe qui vaut vraiment son pesant d’or. Je démonte le cardan. Nous nous débarbouillons dans une rivière toute proche, mais nous ne pouvons pas continuer notre enquête ce jour là. Il est bien trop tard, presque 19 heures. Le retour sur Yaoundé s’opère en utilisant les roues avant de la 4X4 grâce à la boîte de transfert. Ce n’est pas très conseillé mais enfin…
Lorsqu’il nous faut aller dans des directions opposées, le recours à la moto est de rigueur pour quelques-uns. C’est le cas à Ebebda où Mademoiselle Aboui doit aller à Melen Mengang et moi à Leyong. La moto : un moyen de locomotion très peu sûr. Mademoiselle Aboui peut en témoigner, elle qui porte encore les stigmates des chutes dont elle a été victime. Pour prendre part à la formation de Mbalmayo dans un premier temps, sur le trajet Ebebda – Melen Mengang ensuite. Et dire que nous n’avons pas pensé à contracter des assurances. Grâce à notre militantisme et notre opiniâtreté, nous arrivons tout de même dans nos différentes unités d’enquête, malgré des écueils qui en auraient fait reculer plus d’un.
Melen Mengang, dans l’arrondissement d’Ebebda : la construction de six latrines était prévue. Une salle de classe dûment équipée en tables bancs devait aussi être mise à la disposition des populations. Première visite, première surprise : rien, absolument rien de tout cela n’a été fait. Pas de salle de classe construite, pas de tables bancs, pas de latrines. Seconde surprise : les élèves sont assis sur… des troncs d’arbre, en plein vingt-et-unième siècle, et à une centaine de kilomètres seulement de la capitale. On croit rêver ! Inutile de demander au directeur qui est au moins aussi surpris que nous, même si c’est pour des raisons différentes, s’il est au courant que des crédits avaient été débloqués pour la construction d’une salle de classe, son équipement en tables bancs et la construction de six latrines. La question lui est tout de même posée (C’est précisément l’objet de notre descente sur le terrain n’est ce pas ?) La réponse à laquelle nous nous attendons nous est donnée : M. le directeur n’est au courant de rien. Personne d’ailleurs n’est au courant de rien ; ni lui, ni aucun autre membre du conseil d’établissement, ni aucun riverain. Pour faire fonctionner sa petite structure qui ne paye pas de mine et qui compte quatre enseignants dont lui-même et trois maîtres payés par l’association des parents d’élèves, il n’a reçu de l’Etat que 20 000 FCFA en tout et pour tout. C’est en fait le petit budget de l’association des parents d’élèves qui fait vivre l’école. Dans ces conditions, demander si celle-ci dispose d’une bibliothèque, d’un laboratoire, d’une salle du personnel, d’une cantine scolaire ou tout simplement d’une pharmacie d’urgence semble de la provocation.
Ecole publique de Leyong, toujours dans l’arrondissement d’Ebebda . Ici les choses se présentent sous un meilleur jour. La salle de classe prévue est bien là. C’est malheureusement la seule bonne nouvelle à consigner dans nos calepins d’enquêteurs car, pour le reste, rien n’a été fait. Il n’y a ni latrines ni tables- bancs. Bien sûr, M. le directeur n’a été mis au courant du projet de construction de la salle de classe que le jour où l’entrepreneur a débarqué pour l’installation du chantier. D’ailleurs, les membres du conseil d’établissement et les riverains n’étaient pas plus informés que lui.
Meyos, dans l’arrondissement d’Evodoula. Deux salles de classe sont en chantier…mais celles – là ne nous concernent pas ; elles ne rentrent pas dans le cadre de l’exercice 2004. Donc, pour ce qui nous concerne, pas de salles de classe sur les deux attendues ; pas de latrines et pas de tables – bancs. Zéro pointé en somme. Les membres du conseil d’établissement nous signalent que les charpentes des deux salles de classe en construction sont en bois blanc. Ce n’est pas normal et ils s’en sont plaints auprès de l’entrepreneur.
Nkolseng I: La situation est quasi identique. Deus salles de classe équipées attendues ainsi que six latrines. Rien de tout cela n’a été fait. On constate cependant un chantier abandonné avant l’an 2000. Le marché avait été attribué à un prêtre de l’Eglise Catholique, l’abbé A. ABEGA, une vieille connaissance…une fripouille doublée d’un escroc qui a eu à séjourner quelques temps à Kondengui, la célèbre maison d’arrêt de la capitale.
Ovang : deux salles de classe équipées en tables bancs attendues. Les salles de classe n’ont pas été construites, mais 30 tables bancs sur les 60 attendues ont tout de même été livrées.
Lekié Assi : Deux salles de classe équipées attendues. Rien n’a été fait.

Au total, sur les dix salles de classe dont la construction et l’équipement étaient prévus, une seule a été construite. 30 tables bancs seulement ont été achetées sur les 300 attendues, aucune latrine n’a été aménagée sur les 24 prévues. Compte tenu des conditions dans lesquelles les élèves et les enseignants évoluent dans ces milieux, de tels manquements nous semblent tout simplement criminels. Dans la plupart de ces écoles, les locaux ont été construits en matériaux provisoires par les parents eux –mêmes. Nulle part nous n’avons trouvé de latrines dignes de ce nom. Dans la plupart des cas, ce sont les associations des parents d’élèves qui supportent le salaire des trois quart au moins des enseignants. Ils ne sont jamais plus de quatre dans les écoles publiques visitées, directeur compris, même pour des établissements à cycle primaire complet. Et tous les établissements visités étaient à cycle complet ! Que dire des frais de fonctionnement alloués aux directeurs d’école, sinon qu’ils sont dérisoires, symboliques. Comment dans ces conditions parler d’école primaire gratuite au Cameroun puisque, aussi bien, notre expérience du terrain nous permet d’affirmer que ce sont les parents d’élèves qui contribuent le plus à la vie de leurs écoles. Mais alors quelle vie !

Otombita Neville Chamberlain


13 février 2007

l'actualité de la lutte contre la corruption au Cameroun:semaine du 5 au 11 février 2007

L’ACTUALITE DE LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION AU CAMEROUN
Semaine du 5 au 11 février 2007

1. L’OPERATION « EPERVIER »FAIT DES VAGUES.
Cette semaine, les débats au Tribunal de Grande Instance de Yaoundé ont fait apparaître le peu de sérieux qui sous-tend la gestion des sociétés parapubliques dans notre pays. Détournements, usage de faux, missions fictives, abus de biens sociaux…tout est bon pour piller les caisses de l’Etat. Dans l’affaire qui oppose le Ministère Public et le Crédit Foncier du Cameroun contre Joseph Edou, Booto à Ngon et 29 co – accusés, l’audience de cette semaine a révélé qu’en plus des détournements des deniers publics, certains de ces inculpés auraient présenté de faux diplômes lors de leur recrutement ou au moment de bénéficier d’un avancement au sein de la structure.
Quant à Jules Roger Belinga, il devra fournir des justificatifs de la somme de 225 135 000 francs CFA retirée des banques de la place, mais jamais arrivée dans les caisses de la Société Immobilière du Cameroun dont il avait la charge. Autres faits reprochés à l’ex –DG de la SIC, le payement par la société des salaires de certains agents travaillant plutôt au Ministère de la Ville. Et au lieu des sept domestiques auxquels notre homme avait droit, il s’en était plutôt octroyé le double. Mégalomanie, quand tu nous tiens !
La comptabilité du FEICOM sous l’ère Ondo Ndong donne tout simplement le tournis au camerounais ordinaire. Entre 7,5 millions de Fcfa payés à l’ex-agent comptable Moïse Mbella pour une mission qu’il n’a jamais effectuée, 100 millions de Fcfa déboursés entre février et avril 2005 pour l’évaluation de la dette du FEICOM et 700 millions payés pour une même mission en l’espace de deux mois, l’on se perd dans les méandres d’une comptabilité ténébreuse et indélicate. A l’audience du 7 février 2007, l’ex –DG était appelé à s’expliquer sur la somme de 678 millions de Fcfa dépensés en 2005. Cette somme était théoriquement destinée à évaluer la performance et le rendement dans les communes. Tout laisse cependant croire qu’il ne s’agissait là que d’une couverture. Entre le 20 Décembre 2001 et le 21 Janvier 2002, deux ordonnances de paiement d’une valeur de 340 millions de Fcfa ont été effectuées pour une seule et même mission d’explication et de sensibilisation dans les antennes régionales du FEICOM. Au-delà de toutes ces malversations cependant, l’audience de ce 07 février fera date dans l’histoire à cause de cette affirmation pour le moins désinvolte de M Ondo Ndong : « la signature du DG ne signifie pas que sa responsabilité est engagée.» Quelle triste conception de l’administration et de la responsabilité!

2. CONTROLE SUPERIEUR DE L’ETAT, CHAMBRE DES COMPTES ET COMMISSAIRES AUX COMPTES EN ACTION
Heureusement, l’atelier de sensibilisation des organes d’audit interne des départements ministériels et des services centraux de l’Etat de Kribi, séminaire organisé par le Contrôle Supérieur de l’Etat, vient fort opportunément rappeler le rôle et la place de ces inspecteurs généraux des différentes administrations publiques camerounaises. Nous osons croire que cet atelier de renforcement des capacités des auditeurs internes permettra une meilleure visibilité dans la gestion des deniers publics au Cameroun. . Dans la même optique pédagogique, un séminaire international s’est tenu le 08 février à Douala sur le thème : « le rôle du commissaire aux comptes dans la gouvernance de l’entreprise dans l’espace Ohada ». Sur un autre plan, en réponse au mutisme qu’on lui prête, la Chambre des Comptes s’apprête à livrer ses premiers jugements portant sur les exercices budgétaires 2004 et 2005 au cours de cette année 2007. On ose espérer que la montagne n’accouchera pas d’une souris.


3. LE PROJET SYDONIA AMELIORE LES RECETTES DE LA DOUANE CAMEROUNAISE
Dans le secteur des douanes camerounaises, le projet SYDONIA vient rehausser les recettes de l’Etat en luttant contre la fraude et la corruption. C’est ainsi qu’en un mois, SYDONIA a permis de réaliser un montant des émissions supérieur à celui enregistré un an plus tôt dans la même période (29,9 milliards en janvier 2006 contre 32 milliards en janvier 2007). Un exemple du bon usage des NTIC dans la lutte contre la corruption qui devrait faire tache d’huile.

4. LA POLICE BALAIE DEVANT SA PORTE
Finies l’arrogance et la suffisance que leur conférait leur statut social ? C’est ce que laisse penser la promptitude à sanctionner du Délégué général à la Sûreté Nationale, M. Edgar Alain Mebe Ngo, qui ne manque plus une occasion pour rappeler aux éléments du corps dont il a la charge qu’ils ne sont pas au-dessus de la loi. Et ce ne sont pas les deux hauts responsables de la police sanctionnés pour « négligence grave dans l’exercice de leurs fonctions ayant entraîné la destruction de véhicules de service… » qui nous démentiront. La sanction qui leur a été infligée le week-end dernier pour usage abusif des véhicules de service vient en tout cas opportunément rappeler aux cadres de l’administration camerounaise que les outils de travail qui leur sont confiés ne doivent pas être utilisés à des fins personnelles.

A la semaine prochaine !
BEFIDI Jeanne Marie - Bernard

8 février 2007

L'argent n'est pas tout

La lettre du mois
septembre 2006

L’ARGENT ET LE SEXE, PRINCIPAUX VECTEURS DE LA CORRUPTION…

Que peut-on donner pour corrompre quelqu’un. Telle est l’une des questions que nous avons posée lors d’une enquête sur la perception de la corruption par la jeunesse. Au vu des réponses obtenues, l’argent reste le principal vecteur de la corruption au Cameroun. Le sexe n’est cependant pas en reste !

39,34% des élèves interrogés citent l’argent comme principal vecteur de la corruption, « ce qui peut être donné pour corrompre quelqu’un ». Après l’argent vient le sexe qui apparaît dans notre enquête sous différentes formes et dénominations : le corps, les fesses, une partie de jambe en l’air, son derrière, son épouse, sa fille ».
Après les révélations de la presse sur les mœurs sexuelles de ceux qui nous gouvernent, on ne peut guère être surpris de voir apparaître la mention de pratiques homosexuelles dans cette enquête avec la mention très suggestive du mot « derrière ». On est par contre abasourdi d’apprendre que l’on puisse utiliser son épouse ou sa fille comme une vulgaire monnaie d’échange dans une transaction ! Abasourdi et choqué à la fois.
L’argent et le sexe : un couple infernal qui réunit à lui tout seul 65,19% des opinions exprimées. Viennent ensuite les cadeaux en nature (bien matériel, don en nature, service quelconque) :18,32% ; des victuailles (vivres, boisson) :13,92 %.

MAIS L’ARGENT N’EST PAS TOUT
L’argent ouvre toutes les portes, affirme un adage Beti. C’est dire que d’après cet adage, avec de l’argent, on peut tout se permettre, tout avoir. Ce n’est pas l’avis exprimé majoritairement par les jeunes. Heureusement !
A la question de savoir s’ils partagent l’opinion qui veut qu’au CAMEROUN, avec l’argent, on puisse tout avoir, tout se permettre, tout devenir, 61 % des élèves interrogés répondent par la négative tandis que 39% seulement répondent « oui ». Ces réponses sont à rapprocher de celles obtenues lors de l’enquête réalisée sur La corruption au Cameroun par GERDDES – Cameroun avec le concours de la Friedrich Ebert en octobre 1998. Sur un échantillon entièrement composé d’adultes de la province du Littoral et de l’Est, les réponses obtenues étaient les suivantes :

Réponses dans le Littoral Réponses à l’Est
Oui 71,4% 69%
Non 24% 25%
Sans avis 4,5% 5%

A l’évidence, ces réponses traduisent le pessimisme profond de gens qui ont longtemps mariné dans une atmosphère de corruption aggravée par l’impunité et qui n’attendent plus rien de la vie. Cette atmosphère est bien celle du règne et de la toute puissance de l’argent mal acquis que Transparency International vient dénoncer dès 1998. Dans ce Cameroun là en effet, on peut tout obtenir avec de l’argent : un job dans une entreprise, une place dans une grande école, des passe-droits dans l’administration, le retournement d’une cause perdue a votre avantage lors d’un procès, une écharpe de député à l’Assemblée…Sans compter toutes les suavités et autres plaisirs de la vie que l’argent autorise, même celui – là qui est mal acquis mais qu’on dit sans odeur :villas, automobiles de luxe, villégiatures dans les coins les plus huppés du monde, mais aussi considération et respectabilité !
Quoi d’étonnant dès lors que toute valeur soit sacrifiée au dieu argent. Pour avoir de l’argent, on est prêt à tout. Les ministres de la République s’adonnent au charlatanisme et s’attachent les services des sorciers et autres spécialistes des sciences occultes ;les époux sont prêts à sacrifier la vie de leur conjoint ou de leur progéniture pour prendre du galon dans les cercles ésotériques ;la cote de la vente des ossements ou des parties vitales du corps humain atteint des sommets à la bourse des valeurs mafieuses et criminelles ;jeunes et vieilles filles, célibataires et mariées fréquentent assidûment Internet à la recherche du « blanc », synonyme d’argent et de richesse ; la caste des fonctionnaires - hommes d’affaires fleurit et prospère plus que jamais… Il n’est pas jusqu’à l’homosexualité qui ne soit un recours pour escalader la pente abrupte ou gravir les marches infernales qui mènent au pouvoir et à l’argent. Mais les sommets, fussent-ils ceux de la mafia, des cercles ésotériques ou des milieux de la corruption, ne sont précisément pas faits pour être atteints par tous. Et devant l’arrogance de la caste des riches et des puissants qui avaient fait le choix de la délinquance et de la criminalité, les autres baissaient la tête et croyaient la cause de la moralité, du travail et de l’honnêteté entendue. Voilà bien la signification des résultats de l’enquête menée par GERDDES – Cameroun.
Heureusement, l’enquête de Voies Nouvelles vient démontrer que la démission n’est pas de mise en matière de lutte contre la corruption. Tout n’est pas perdu. Les avis exprimés par les élèves tranchent nettement avec le pessimisme des générations passées. Ils traduisent bien l’état d’esprit d’une population jeune qui aspire à utiliser ses potentialités pour réussir et mordre la vie à pleines dents. Cette jeunesse là prouve par son optimisme qu’on peut encore compter sur elle pour prendre à bras le corps l’hydre de la corruption. Comment en effet considérer que l’argent est tout quand on peut encore compter sur la force de ses muscles et de ses neurones. Comment se résoudre à courber l’échine devant la toute puissance d’un argent mal acquis, malodorant et sale. Comment se résigner à vivre dans un monde dans lequel vous sentez bien que votre travail n’a pas de prise. Ce qu’exprime la jeunesse scolaire, c’est sa volonté de faire sauter le verrou de la corruption dont ils appréhendent bien la capacité de nuisance et l’insanité.

POUR LA MAJORITE DES JEUNES, LA CLE DE LA REUSSITE RESTE LE TRAVAIL
C’est encore l’optimisme qui transpire dans les avis exprimés par les jeunes dans la question qui leur est posée sur le pouvoir de l’argent (question n°5) que l’on retrouve dans les réponses donnée à cette question sur les facteurs de réussite à un concours. Entre l’argent, la prière, les relations, le sexe et le travail, les élèves interrogés choisissent majoritairement le travail.
Réaffirmer sa prise sur le monde, sa capacité et sa volonté à peser sur son destin, telle semble être la préoccupation de la majorité de la cible de notre enquête (43,32%). Les jeunes de nos lycées et collèges semblent bien avoir assimilé la leçon du laboureur à ses enfants telle qu’elle nous est restituée par le fabuliste français Jean de La Fontaine : travailler, prendre de la peine. Avec le niveau atteint au Cameroun, la corruption avait fini par saper le moral de tous et renversé l’échelle des valeurs. Beaucoup avaient fini par croire que pour réussir à un concours, il suffisait de mettre de l’argent de côté et de chercher le réseau. On se rend heureusement compte que les jeunes gardent encore suffisamment de ressources morales pour croire et lutter : croire au travail, croire en ses capacités mais aussi lutter contre l’injustice, le vol, l’opacité, la mal gouvernance, la corruption.
Mais après avoir réaffirmé leur foi et leur croyance aux valeurs qui fondent la République et la démocratie, les jeunes n’en posent pas moins un regard réaliste sur leur milieu et plus de 26% d’entre eux reconnaissent que l’entregent, les carnets d’adresses, les réseaux, le népotisme, bref les relations en tout genre continuent à jouer un rôle très déterminant dans la réussite à un concours et la réussite tout court. Quoi d’étonnant à cela ? Le Cameroun reste en effet le pays des clans, des sectes, des confréries, des réseaux et des regroupements mafieux de tous ordres.
L’argent ne perd cependant pas entièrement sa capacité de nuisance et plus de 18% des élèves interrogés lui reconnaissent le pouvoir de faire basculer les destins. Dans ce jeu de cartes, on est étonné et agréablement surpris de constater que la prière (8,71%) est plus cotée que le sexe (3,54%). Faut-il y voir l’effet de la forte représentation des établissements confessionnels dans la constitution de notre échantillon ou la montée en puissance des nouvelles églises.

BEFIDI Jeanne Marie -Bernard

La corruption au Cameroun:un phénomène banal

La lettre du mois
août 2006


LA CORRUPTION AU CAMEROUN: UN PHENOMENE BANAL.

A la suite des travaux de l’ONG Transparency International, l’indice de perception de la corruption est devenu un indicateur important pour caractériser le niveau de corruption dans un pays donné. Se fondant sur ce principe, Voies Nouvelles s’est attaché à faire ressortir comment les élèves appréhendent le niveau de banalisation de la corruption au Cameroun. La question leur a donc été posée, celle de savoir si la corruption est un phénomène très courant, courant, rare ou très rare.

A l’évidence, malgré les campagnes de communication gouvernementales, la corruption demeure un phénomène banal au Cameroun. Une très large majorité des élèves interrogés, soit 85%, considère en effet qu’il s’agit d’une pratique « très courante »tandis que 15% estime que la corruption est un phénomène juste « courant ». C’est dire, en d’autres termes, que pour l’ensemble de notre échantillon, la corruption est loin d’être considérée comme une pratique rare puisque, aussi bien, les catégories « très courant » et « courant » rassemblent cent pour cent des opinions exprimées.
Une telle unanimité autour d’un phénomène social pratiqué à ciel ouvert et observable à tous les coins de rue ne surprend guère. Au Cameroun, l’expression « dessous de table » qui tendait à mettre en exergue le caractère secret des actes de corruption est en train de perdre tout son sens et peut – être faudra – t- il désormais parler de « dessus de table ? ». La particularité de la corruption au Cameroun tient d’ailleurs à ceci qu’elle se pratique de plus en plus au vu et au su de tout le monde. Ici, pour corrompre ou se faire corrompre, point n’est besoin de se cacher. Et l’expression de défi lancée à qui s’offusquerait ou se scandaliserait au spectacle de telles pratiques jugées peu orthodoxes sous d’autres cieux est connue de tous : « Va dire ! » ; une manière de faire comprendre à son interlocuteur que la pratique de la corruption est sans danger sous nos cieux.
Pour se convaincre de la vérité de ces assertions, il suffit de prendre place à bord d’un taxi dans l’une de nos métropoles et observer le spectacle désolant des hommes en tenue, policiers ou gendarmes, qui arnaquent les conducteurs à qui mieux mieux et sans pudeur aucune. Tant le décor que les acteurs et le scénario de ces spectacles ubuesques qui restent la meilleure preuve de l’incapacité de nos dirigeants à combattre efficacement le cancer de la corruption demeurent immuables. Une planche bardée de clous qui barre la chaussée sur toute la largeur de la bande laissée à la circulation (il faut en effet s’assurer que le conducteur du véhicule sur lequel le dévolu a été jeté, taxi, car de transport ou camion de marchandise de préférence sera obligé d’ « obtempérer »). Un coup de sifflet rageur et péremptoire, l’ordre qui est intimé de la main de se ranger sur le bas côté de la route. Le conducteur blasé et résigné qui sort de son véhicule et se dirige vers l’homme en tenue resté en retrait, un billet de banque qui change subrepticement de main et le tour est joué. Notre pauvre chauffeur peut repartir, convaincu que la vie est ainsi faite que les hommes en tenue ont le droit de s’engraisser sur le dos des pauvres transporteurs. Tout le long de la journée, cette scène va se répéter des dizaines, voire des centaines de fois. Les numéros des cars de transport qui se sont acquittés du paiement de ces frais de péage informels sont soigneusement notés dans un calepin, et gare au chauffeur qui tentera de jouer au plus malin en refusant de « cotiser ».
Beaucoup de responsables de la Sûreté Nationale ont pourtant essayé de mettre fin à ces pratiques d’autant plus affligeantes qu’elles donnent du Cameroun une image peu flatteuse. Beaucoup ont essayé disons – nous, mais aucun n’y a véritablement réussi. La difficulté qu’il y a en effet à moraliser nos hommes en tenue est de notoriété publique. Elle a plusieurs fois incité la haute hiérarchie de la police et de la gendarmerie à interdire les barrières fixes ou à proscrire les contrôles routiers pendant une période de la journée au moins. Ces mesures n’ont cependant jamais tenu très longtemps, surtout lorsqu’elles prennent la forme radicale de l’interdiction pure et simple des contrôles routiers. Des pressions tendant à maintenir ou à faire revenir les hommes en tenue sur la route deviennent pour ainsi dire irrésistibles. Lorsque ce ne sont pas les bénéficiaires directs de ces opérations pas très orthodoxes qui font pression pour ne pas quitter leur terrain de chasse favori, ce sont d’autres corps de métier, à l’instar des assureurs, qui incitent à la multiplication des contrôles routiers tant décriés. Il faut en effet amener les propriétaires de véhicules à contracter une assurance et seuls les contrôles de police ou de gendarmerie peuvent les y contraindre. Le problème du non règlement des sinistres par les assureurs est en effet tel au Cameroun que les propriétaires de véhicules ne voient dans l’assurance qu’une simple formalité administrative. Que les barrages de police ou de gendarmerie soient donc interdits et le chiffre d’affaire des assureurs - dont l’utilité sociale n’est véritablement prouvée que par rapport à leur statut de créateur d’emplois et surtout de contribuable - chute vertigineusement.
Nous parlons de la police et de la gendarmerie qui, à l’évidence, influencent négativement la perception que les élèves ont du niveau de banalisation de la corruption au Cameroun. Nous aurions aussi bien pu parler de nos médecins et autres spécialistes de la santé qui multiplient les manœuvres pour extorquer de l’argent aux malades dans les formations sanitaires publiques, quand ils ne les détournent pas purement et simplement dans les cliniques privés où ils peuvent à loisir leur faire rendre gorge. Les magistrats ne sont pas en reste, eux dont la corruption a été le thème de maints discours du Chef de l’Etat. Et que dire de l’entrée dans nos grandes écoles de formation dont on sait qu’elle n’est plus conditionnée aux seuls critères académiques. Comment expliquer la sortie de terre comme des champignons de toutes ces villas et immeubles cossus. Comment expliquer la présence sur nos routes de toutes ces 4x4 plus rutilantes les unes que les autres ? Les fonctionnaires de la haute administration détiennent au Cameroun le secret de la réussite éclair. De cela aussi, nous aurions pu parler pour tenter d’expliquer qu’aujourd’hui, nos jeunes rangent la corruption dans la classe des phénomènes banals. Nous restons cependant persuadés que dans la situation qui est aujourd’hui celle du Cameroun, la seule question qui vaille encore vraiment la peine d’être posée est celle de savoir s’il subsiste un espace ou un corps de métier non gangrené par la corruption.
L’école, ce haut lieu de l’éducation et de la formation des citoyens, est devenue au fil des ans un véritable centre d’ « affaires » ; la corruption, le faux, la magouille et le trafic d’influence y ont élu domicile. La famille ne peut plus être présentée comme un rempart dans la lutte contre la corruption puisque, aussi bien, les parents eux-mêmes sont trempés dans des problèmes de falsification des actes de naissance ou de bulletins de notes de leurs enfants. Ce sont eux, les parents, qui négocient les places dans les lycées à coup de francs CFA ; eux qui achètent l’entrée dans les grandes écoles, eux encore qui soudoient les correcteurs et membres des différents jurys d’examens…
Au Cameroun, même l’Eglise de Dieu n’offre plus les garanties de probité morale qu’on était en droit d’en attendre. Les prêtres sont aujourd’hui de véritables hommes d’affaires qui « gagnent » des marchés publics, se soumettent aux règles de corruption qui ont cours en ces milieux et sont impliqués dans de sombres affaires de marchés fictifs ou de chantiers abandonnés…comme tout le monde. L’école publique de Nkolseng I dans la LEKIE que nous avons eu l’occasion de visiter au cours d’une enquête sur le suivi indépendant de l’exécution du budget de l’Etat offre le triste spectacle d’un chantier de salles de classe abandonné par un prêtre dont l’affairisme notoire et la corruption l’ont conduit à séjourner quelques temps dans les geôles infectes de Kondengui. Et que dire des récurrentes querelles de gombo dans nos consistoires ! Les pasteurs n’ont qu’un seul rêve : se retrouver dans une paroisse à ministres… et y rester à vie et à tout prix. Tous les principes éthiques sont alors foulés au pied et sacrifiés à l’autel de cet objectif égoïste. Tous les coups sont permis, même les plus tordus et la corruption n’est pas en reste bien sûr, au nom du sacré gombo.

Otombita Neville Chamberlain

Corruption: les jeunes impliqués

Lettre du mois
mai 2006
Justifier
CORRUPTION : LES JEUNES IMPLIQUES !

A la question de savoir s’ils ont déjà été personnellement confrontés à la corruption, seulement 35,58% des jeunes interrogés répondent non tandis que près de 62% répondent par l’affirmative. Il s’agit – là d’un chiffre qui donne à penser.

Comment comprendre que la jeunesse, ce « fer de lance de la Nation » de tous les discours officiels, ce sel de la terre des évangiles, soit déjà attaqué par le virus de la corruption avant même que d’ « être aux affaires »? Que près de 62% des jeunes avouent en effet avoir déjà personnellement été impliqués dans des actes de corruption ne peut en effet que laisser perplexe. Si la jeunesse a déjà perdu son innocence, si cette jeunesse là a déjà perdu son intégrité morale, qui donc va relever le défi de la construction d’un Cameroun propre et sain, qui va relever le défi d’un Cameroun qui consacrerait l’essentiel de ses ressources au bien – être général de tous ses enfants ? N’est-ce pas la bible qui glose sur la difficulté qu’il y aurait à redonner goût au sel qui a perdu sa saveur ?
Le problème de la corruption des jeunes se pose avec d’autant plus d’angoisse que nous avons interrogé une frange qu’on pourrait croire privilégiée du point de vue de son instruction et de son éducation puisque, aussi bien, nous nous sommes adressés aux élèves des classes de première et de terminale de nos lycées et collèges. Une telle situation ne peut donc que conduire à interpeller avec force l’Ecole de la République. Quels sont ses objectifs ? Quelle est la qualité et la valeur de ses enseignements ? Quelle est en définitive sa propre valeur ?
Comment ne pas déplorer que l’Ecole ait abandonné ses missions les plus nobles, l’éducation, la transmission des valeurs morales, pour ne retenir que les objectifs les plus prosaïques :l’instruction, l’inculcation des connaissances intellectuelles. Et de fait, l’enseignement au Cameroun semble avoir été réduit à un exercice bureaucratique qui ne pose pas la question de la valeur de ses produits au plan civique et moins encore moral. Il est en effet symptomatique de constater que les seuls bilans qui soient faits par les autorités en charge de l’éducation dans notre pays ne concernent que les statistiques relatives au nombre des élèves admis aux différents examens officiels. Même dans les établissements scolaires d’obédience religieuse qui constituent plus de la moitié des établissements retenus dans notre échantillon, la catéchèse se réduit de plus en plus à une matière de cours sanctionnée par une note, comme la géographie et l’histoire, le français ou...l’éducation à la citoyenneté et à la morale.
Quant à l’enseignant camerounais, il n’a aujourd’hui qu’une seule préoccupation, débiter son cours, sans souci aucun de l’impact de ses enseignements sur les élèves qui lui sont confiés au plan de leur éducation. Son concours dans le franchissement de l’obstacle d’un examen officiel ou du passage en classe supérieure reste l’horizon indépassable de ses ambitions. La question éminemment éthique et déontologique de l’impact de ce qu’il dit ou de ce qu’il fait sur des élèves qui chaque jour lui échappent toujours un peu plus au plan strict des valeurs humaines et spirituelles n’est plus du domaine de ses préoccupations. Et devant le sort qui lui est fait au plan social, il a abandonné tout projet de modeler des personnalités, de sculpter des caractères, de forger des âmes, bref de faire œuvre éducative. Comment expliquer autrement cette frénésie autour de la vente des places dans les différents lycées à chaque rentrée scolaire? Comment comprendre que des enseignants soient au centre de cette mafia dont ils connaissent par ailleurs les conséquences : classes surchargées, baisse de niveau, échecs massifs aux examens… Comment comprendre que tout le long de l’année, les élèves soient l’objet de sollicitations financières et sexuelles pressantes et répétées. Comment comprendre enfin que les phases pratiques des différents examens officiels soient le lieu d’âpres négociations financières entre candidats et membres des jurys. Comment comprendre tout cela et l’accepter. A l’évidence, de telles dérives sont extrêmement dommageables pour notre pays et il nous semble urgent d’en rechercher les causes profondes afin d’y remédier.
Toute réflexion sur la décrépitude de l’école camerounaise au plan éthique ne peut se permettre l’économie d’un examen des conditions de vie et de travail des enseignants. Et même si leur clochardisation actuelle n’explique pas tout, il ne nous semble pas inutile de s’interroger sur les conséquences de la baisse du pouvoir d’achat de cette catégorie de travailleurs sur l’école camerounaise au regard des stratégies qu’elle met en œuvre pour boucler des fins de mois difficiles.
Il est un fait qu’après deux baisses de salaire successives et drastiques en 1993 suivies de la dévaluation du franc CFA en janvier 1994, les enseignants ont vu leur pouvoir d’achat fondre comme neige au soleil. Mais, au lieu de s’organiser dans des syndicats forts et crédibles capables de mener des batailles décisives avec l’Etat pour la défense de leurs intérêts matériels, ils ont plutôt opté pour de sordides solutions de débrouillardise et de promotion sociale individuelle qui, en dernière analyse, se réduisent à des actes de corruption. On doit pourtant à la vérité de dire que la corruption à l’école n’est finalement qu’une fausse solution à un vrai problème. Les questions relatives à la rémunération des travailleurs et à leurs conditions de travail sont d’une importance cruciale pour la société. Ces questions sont normalement appelées à trouver une solution dans le cadre du dialogue social. Dans toutes les démocraties du monde en effet, les syndicats sont les structures habiletées à négocier les problèmes des conditions de travail avec l’Etat. Mais, il faut le rappeler, les syndicats sont des structures de lutte. Il nous semble donc important que les travailleurs camerounais en général, les enseignants en particulier, se rendent bien compte que toute société humaine se bâtit par et au travers des luttes. De ce qui précède, nous tirons que la considération dont bénéficiera l’enseignant dans notre société sera à la mesure des efforts et des sacrifices qu’il est prêt à consentir pour la défense de ses intérêts bien compris. Combien d’enseignants sont aujourd’hui syndiqués et quelle est la force et la capacité de négociation des syndicats enseignants ?
En définitive, le problème de la corruption à l’école se confond en grande partie à celui de la place de l’école dans notre société. Cette place elle-même ne sera jamais que le fruit des luttes que les enseignants accepteront d’engager collectivement dans le cadre de syndicats forts.

L’Ecole ne fonctionnant pas en vase clos, aucune réflexion sérieuse sur la corruption des jeunes ne peut se permettre de faire l’impasse sur le rôle et la responsabilité de la famille qui est la matrice naturelle de l’éducation de l’enfant. Cette reconnaissance d’emblée de l’importance du rôle de la famille dans l’éducation des enfants et la transmission des valeurs morales nous semble primordial. Cependant, force est de constater que la structure familiale a de plus en plus de mal à assumer ses responsabilités. La tendance générale serait plutôt à la démission et à l’abdication devant les difficultés matérielles, les coups de boutoir d’une culture occidentale mal maîtrisée et un contexte moral postmoderne caractérisé par la perte de tout repère. De plus en plus, le modèle social est la cousine ou la fille du voisin qui ont réussi à s’expatrier et qui de temps à autre font parvenir un peu d’argent, parfois un véhicule d’occasion à leurs parents restés au pays. La référence, c’est aussi le feyman, l’oncle ou le cousin, voleur à col blanc qui s’est enrichi par la corruption, le faux et la surfacturation dans des transactions plus ou moins licites avec l’Etat. A contrario, ce vieux Monsieur honnête qu’on dit professeur d’université et qui joint difficilement les deux bouts fonctionne comme un véritable repoussoir.
Pour notre part, nous osons croire que chaque parent, chaque mère et chaque père continue à nourrir des rêves de grandeur pour sa progéniture. La question qui se pose est celle de savoir comment réaliser ce rêve dans la dignité et le respect des valeurs éthiques et morales. La réponse à cette question est elle aussi d’abord et surtout du ressort de la politique. C’est M. Paul Biya qui a mis lui – même en exergue cette relation entre la politique et l’avenir de la jeunesse avec ces mots restés célèbres « Quel Cameroun voulons – nous pour nos enfants ? ». Les parents, un père, une mère, se doivent de construire un projet de vie pour et avec leurs enfants ; ils se doivent aussi de rechercher avec eux les moyens les plus adéquats pour permettre la matérialisation de ce projet dans le respect des principes éthiques. Mais ces moyens sont d’abord ceux qui sont mis à leur disposition par l’Etat. Il est donc du devoir de chaque parent de se mobiliser politiquement pour obtenir de l’Etat les moyens nécessaires à la réalisation des ambitions qu’il nourrit pour ses enfants.
Chaque parent se doit de jouer son rôle de citoyen. Il doit avoir une claire conscience des enjeux et se déterminer en conséquence. Combattre la corruption à l’école commence par le vote des dirigeants les plus aptes à offrir les meilleures chances d’éducation à nos enfants. Ceux – là aussi qui ne ménagent pas leurs efforts pour créer des emplois. La question d’une classe politique corrompue et qui traîne des casseroles est donc de la plus haute importance. Un homme politique doit avoir une vie publique irréprochable. Il doit veiller au bonheur de son peuple auquel il doit des comptes. Combattre la corruption à l’école, c’est aussi bien élire et demander des comptes à nos hommes politiques.

BEFIDI J. Marie Bernard

7 février 2007

Chronique d'un procès contre un entrepreneur véreux

La lettre du mois
janvier 2007


CHRONIQUE D’UN PROCES CONTRE UN ENTREPRENEUR VEREUX

Grâce au courage et à la ténacité des leaders de l’association EDING NNAM qui s’étaient opposés aux agissements malsains d’un entrepreneur véreux, la Cour d’Appel du Centre découvrit avec ébahissement l’étendue et l’ampleur des combines et des malversations qui privent le petit peuple du bénéfice des fruits de la croissance. La construction d’un centre de santé élémentaire commencée en 1985 ne sera achevée qu’en 2006, plus de vingt ans après, à cause d’un entrepreneur véreux et d’un réseau de fonctionnaires corrompus.

MVOMEKAK II, un village Eton, dans la LEKIE, l’un des dix départements qui composent la Province du Centre. Nous sommes un week-end. Les populations se livrent à une séance d’investissement humain à l’appel du président de l’association de développement EDING NNAM qui vient d’être portée sur ses fonts baptismaux. Jeunes et vieux, hommes et femmes, lettrés, semi - lettrés et analphabètes, autochtones et habitants de la ville, élites intérieures et élites extérieures… chacun trouve ici à s’occuper selon ses forces et son statut : les plus vigoureux manient la machette avec l’aisance et la dextérité que seul permet une longue pratique. Les broussailles qui bordent la route voltigent et tombent les unes après les autres. Les enfants rassemblent les herbes fauchées qui seront brûlées plus tard. Les femmes raclent le sol à la houe, servent la boisson, eau ou vin de palme, houspillent les flemmards et aiguillonnent les hommes de leurs quolibets. Même le patriarche du village qui n’est plus bon à grand’ chose a tenu à apporter sa contribution. Il tient aussi à partager la douce chaleur humaine qui se dégage et raconte des anecdotes qui entretiennent l’ambiance bon enfant qui prévaut. C’est lui qui a cédé le terrain qui accueille le Centre de Santé du village et il en est très fier. Près d’un kilomètre de route a déjà été nettoyé, et seule la sueur qui dégouline des torses nus et des visages brillants laisse deviner l’intensité des efforts fournis. Heureusement, le travail va bientôt prendre fin et céder la place à des ripailles monstres. Le chantier de construction du Centre de Santé Elémentaire du village a en effet été fixé comme ligne d’arrivée des travaux et les hommes les plus avancés y sont déjà. Progressivement, ils sortent la structure des ronces et des buissons. C’est à ce moment qu’une camionnette de marque TOYOTA, modèle DYNA, pénètre dans le chantier et s’arrête devant un gros tas de sable blanc. Deux individus en sortent et sans autre forme de procès, ils se mettent en position de charger le sable dans leur véhicule. Les populations s’opposent à leur entreprise ; il s’ensuit une vive altercation.

Le chantier de construction du Centre de Santé Elémentaire de MVOMEKAK II avait été choisi comme point de chute des travaux d’investissement humain par les dirigeants de la jeune association EDING NNAM. Ce chantier, inauguré autour des années 85 – 86, était à l’abandon depuis 1990.Cinq longues années. La séance d’investissement humain avait entre autres objectifs de le débarrasser des herbes folles qui le dévoraient littéralement. 28 000 000 de francs CFA y avaient été engloutis au travers de deux lettres commande et de deux avenants. Les travaux n’avaient cependant pas beaucoup avancé. Seuls les murs d’une grande bâtisse grise et triste de vingt huit mètres de long sur seize mètres de large avaient été élevés. Vingt huit mètres de long sur seize mètres de large : trop grand ; des standards d’une autre époque, ceux qui étaient encore en vigueur dans les années 80 d’avant la crise économique qui a frappé le Cameroun et dont les effets rentent encore perceptibles. A côté de ce bâtiment dont les parpaings gris commençaient à se désagréger sous l’effet des intempéries et dont les maçonneries éclataient sous la pression des fers à béton rouillés était disposé un gros tas de sable blanc damé par les pluies de dix saisons successives. C’est ce tas de sable qui était l’objet de la convoitise de l’entrepreneur A. Philippe et de son aide en cette matinée du 15 juillet 1995.

A. Philippe : une fripouille. C’est à lui que le marché de construction du Centre de Santé Elémentaire de MVOMEKAK II avait été confié dix ans plutôt. Il était le prototype de cette race d’hommes d’affaires qui a prospéré au Cameroun avec le Renouveau de M. Paul BIYA. Ignare, presque analphabète, pas patriotique pour un sou, la quarantaine bedonnante, ne disposant d’aucune compétence dans le bâtiment. Il possédait cependant une connaissance aiguë de son milieu et maniait avec dextérité l’arme de la corruption et des pots de vin. Rusé comme une tortue, il savait comment utiliser un carnet d’adresses pour obtenir ce qu’il voulait. Sans être vraiment riche, il avait accumulé quelques biens et c’est cette relative aisance qui lui permettait de traiter les villageois avec mépris, dédain et condescendance. Il avait détourné une bonne partie des 28 000 000 de francs CFA alloués à la construction du Centre de Santé Elémentaire de MVOMEKAK II avec la complicité de toutes les instances commises au contrôle du chantier. Le Chef Service Départemental de la Santé Publique, Le Directeur des Grands Travaux du Centre, les membres de la Subdivision des Constructions, le Contrôleur Départemental des Finances, le représentant de la Délégation Départementale du Ministère du Plan et de l’Aménagement du Territoire. Non content de cela, il avait aussi entrepris de s’accaparer de tout ce qui pouvait l’être encore sur le site du chantier abandonné. Et cela malgré l’opposition des populations. Après les portes et les fenêtres avec grilles métalliques, plusieurs tonnes de gravier avaient été emportées. Cette fois, A. Philippe avait décidé de faire main basse sur plusieurs tonnes de sable fin. Mais il se heurtait à une résistance farouche et inattendue.

Les populations de MVOMEKAK II n’avaient jamais apprécié le fait que les travaux de construction de leur Centre de Santé aient été arrêtés. Elles appréciaient encore moins les razzias opérées par l’homme d’affaires véreux A. Philippe. Elles avaient donc tenté de s’opposer à lui lorsqu’il avait entrepris d’emporter les portes, puis les fenêtres avec leurs grilles métalliques ainsi que plusieurs tonnes de gravier, sans succès. Elles avaient peur de l’entrepreneur qui vivait à MONATELE, le chef lieu du département. N’était-il pas « à tu et à toi » avec toutes les autorités administratives ? Le préfet et le sous-préfet, le commissaire de police et le commandant de brigade n’étaient-ils pas ses amis ? Aujourd’hui cependant, elles se sentaient plus fortes à côté de leurs leaders. Elles sentaient bien que l’entrepreneur véreux qui les avait toujours nargué n’allait pas avoir le dessus cette fois. Et malgré les injures, malgré les menaces, Elles tenaient bon. Dès le début de l’altercation, elles avaient envoyé quelqu’un appeler leurs élites, T. O. Cyrille et M. Simplice. Vraiment, A. Philippe avait enfin trouvé à qui parler !

T. O. Cyrille et M. Simplice étaient ce qu’il est convenu d’appeler au Cameroun « élites extérieures ». Ils se sentaient particulièrement interpellés par le développement de leur village MVOMEKAK II et ils avaient créé une association pour l’encadrement des populations dénommée EDING NNAM. Dans la langue Eton, EDING NNAM signifie littéralement « amour du pays » ou encore « amour des siens ».T. O. Cyrille était titulaire d’une maîtrise en psychologie du travail. Au moment des faits, il était Chef de service de la Planification et de l’Orientation Scolaire au Ministère de l’Education Nationale ; il fréquentait assidûment son village depuis que l’une de ses tantes l’y avait exhorté. « Une feuille d’arbre ne reste jamais suspendue ; elle finit toujours par tomber. Mon fils, ne reste pas en ville, ta place est parmi nous au village », lui avait-elle dit. C’est presque naturellement que T. O. Cyrille avait été porté à la tête de l’association EDING NNAM. M. Simplice, son compagnon et frère d’arme était quant à lui un instituteur. Très motivé et impliqué dans les questions de développement de son village, il était le trésorier de l’association EDING NNAM dont il avait eu l’initiative de la création. Au moment où l’entrepreneur véreux arrive sur le site du chantier abandonné pour s’emparer du gros tas de sable blanc qu’il convoite, T. O. Cyrille et M. Simplice sur qui la population s’appuie pour s’opposer farouchement aux noirs desseins de A. Philippe sont tous les deux en train de planifier le partage des victuailles amassées pour clore en beauté et en toute convivialité la séance d’investissement humain. T. O. Cyrille et M. Simplice abandonnent leur occupation pour aller faire face à l’entrepreneur véreux.

Lorsque les deux mousquetaires de l’association EDING NNAM arrivent sur les lieux de la dispute qui oppose A. Philippe aux populations de MVOMEKAK II, l’ambiance est électrique. T. O. Cyrille demande aux populations de se calmer. Il se présente à l’entrepreneur et présente aussi son compagnon M. Simplice. Il demande ensuite à A. Philippe de quel droit il vient charger le sable du chantier. La réponse de l’homme d’affaire véreux est cinglante de mépris. « Je ne parle pas aux chiens ! » siffle-t-il entre ses dents, les mâchoires contractées. Sans céder à la provocation et très calmement, le Président d’ EDING NNAM fait comprendre à A. Philippe qu’il ne partira pas avec un seul grain de sable s’il n’exhibe pas un papier qui l’y autorise. A. Philippe est furieux ; il se sent ridiculisé et humilié. « Vous n’êtes que de pauvres fonctionnaires que je peux employer dans mon entreprise », vocifère-t-il. Il est cependant obligé de repartir, penaud, la queue entre les jambes, sans un seul grain de sable. Les populations exultent. Elles ont gagné ! A. Philippe a vraiment trouvé à qui parler. Elles sont fières de leurs élites. Elles ne se doutent pas que les choses n’en resteront pas là.

Après le départ de l’entrepreneur A. Philippe, les travaux d’entretien routier et de désherbage du chantier du Centre de Santé abandonné sont menés à leur terme. Les victuailles prévues pour terminer en beauté la séance d’investissement humain sont partagées et consommées dans l’allégresse générale. Les suites à donner à l’altercation avec A. Philippe sont discutées entre deux bouchées de maquereaux. Il est décidé q’une lettre sera adressée au Sous - Préfet pour l’informer de l’incident. Des recherches devront aussi être faites pour savoir pourquoi les travaux de construction du Centre de Santé sont abandonnés et quelles sont les responsabilités de l’entrepreneur dans l’affaire. Quatre jours après, le 22 juillet 1995, une lettre est déposée au cabinet du Sous – Préfet. En objet est porté la mention suivante : Demande d’éclaircissements sur le ramassage des matériaux de construction du Centre de Santé de MVOMEKAK II par A. Philippe, entrepreneur à MONATELE. Parallèlement, des informations sur le chantier abandonné sont activement recherchées. De son côté, l’entrepreneur A. Philippe ne se tourne pas les pouces. Il avait été habitué à piller à sa guise le chantier de construction du Centre de Santé abandonné. A cause de l’opposition courageuse des populations de MVOMEKAK II et des dirigeants de leur jeune association EDING NNAM, il était rentré bredouille. Il se sentait blessé dans son amour propre. Il avait été ridiculisé et humilié devant les villageois par de « petits fonctionnaires, des gratte – papiers ». Non contents de lui faire perdre la face, ces derniers avaient pris l’initiative d’adresser une lettre de dénonciation de ses agissements au Sous-Préfet. Il lui fallait réagir, et vite. Sa décision était prise : il allait se venger des deux énergumènes qui avaient osé lui tenir tête. Tandis que ces derniers s’activaient à rechercher des informations sur le chantier abandonné, il avait sollicité les services d’un huissier pour ester en justice par voie de citation directe. L’homme de droit avaient retenu trois motifs contre T. O. Cyrille et M. Simplice : injures, menaces sous conditions, rétention sans droit de la chose d’autrui. Ces gratte-papiers sans le sou allaient voir de quel bois il se chauffait, lui, le fils de sa mère, A. Philippe.

Tandis que la lettre des leaders de l’association EDING NNAM adressée au Sous – Préfet de MONATELE restait sans réponse, la procédure judiciaire de l’entrepreneur véreux prospérait à une vitesse folle. Il avait mis son entregent, son carnet d’adresses et son argent à contribution pour obtenir la condamnation de ces « va-nu-pieds » qui avaient osé lui faire perdre la face devant des villageois, des moins que rien, lui, A. Philippe, homme d’affaires connu et reconnu à MONATELE. Après un simulacre de procès et quelques renvois, le verdict tombe comme un couperet en date du 23 juillet 1996. Un verdict arrangé, attendu, presque sans surprise : T. O. Cyrille et M. Simplice sont condamnés à six mois d’emprisonnement avec sursis pendant trois. Ils sont en outre tenus de verser solidairement 23 000 francs d’amende et deux cent dix mille francs de dommages - intérêts à la partie civile. La foudre semble s’être abattue sur le petit village de MVOMEKAK II lorsque les populations apprennent ce qui vient d’arriver à leurs champions. Ces derniers ne s’avouent cependant pas vaincu. Le 26 juillet 1996, ils font intégralement appel contre le jugement rendu par le Tribunal de Première Instance de MONATELE.

La justice camerounaise n’est pas précisément réputée pour sa célérité et ce n’est qu’en l’an 1999, soit plus de trois ans après que T. O. Cyrille et son compagnon d’infortune M. Simplice aient interjeté appel de l’intégralité du jugement correctionnel prononcé par le Tribunal de Première Instance de MONATELE que le dossier du chantier abandonné est à nouveau ouvert devant la Cour d’Appel de Yaoundé. Ici, les choses se présentent sous un autre jour. Non seulement l’entrepreneur véreux A. Philippe est sevré des soutiens qui faisaient sa force à MONATELE, mais encore, les leaders de l’association EDING NNAM se sont attachés les services d’un bon avocat, Me Daniel E. M., aujourd’hui décédé, paix à son âme. L’intervalle entre le prononcé du jugement au Tribunal de Première Instance de MONATELE et l’enrôlement de l’affaire à la Cour d’Appel du Centre à YAOUNDE a aussi été mis à profit pour accumuler des preuves sur les malversations de sieur A. Philippe et son réseau de complices. Des copies des différentes lettres - commande et des avenants ont été recherchées et obtenues. La première lettre – commande, référencée LC n° 466/LC/BB/J 85-86 CSE porte sur 5 000 000 FCFA ; la seconde lettre – commande référencée LC n°459/LC/BB/J 86-87 porte sur un montant de 15 000 000 FCFA. Quant aux différents avenants, le premier, référencé n°2/9/91 porte sur 8 000 000 FCFA tandis que le dernier, référencé n° 1/9/91 porte sur un montant de 800 000 FCFA. Plus que toute autre pièce cependant, ce sont les procès-verbaux de réception qui cloueront l'entrepreneur A. Philippe au pilori. L’un des procès –verbal de réception mentionne la pose de portes et de fenêtres en bois avec grilles métalliques. Les photos prises sur le site démontrent qu’il n’en est rien. Lors des débats, A. Philippe est obligé d’avouer qu’il avait certes apporté portes et fenêtres avec grilles métalliques lors de la cérémonie de réception provisoire, mais il s’était bien gardé de les poser. Quelques heures seulement après la cérémonie, il s’était empressé de déménager ce matériel pour un autre de ses chantiers. Un autre procès - verbal de réception certifiait l’exécution de « marche d’escalier en béton armé d’accès au bâtiment ». Coût de l’opération : 653 600 FCFA. Au jour d’aujourd’hui, il est encore loisible de constater que le Centre de Santé de MVOMEKAK II est un immeuble qui donne de plein pied dans la cour sans qu’on ait besoin d’emprunter un escalier quelconque pour y accéder.

Grâce au courage et à la ténacité des leaders de l’association EDING NNAM qui s’étaient opposés aux agissements malsains d’un entrepreneur véreux, la Cour d’Appel du Centre découvrit avec ébahissement toute l’étendue et l’ampleur des combines et des malversations qui privent le petit peuple du bénéfice des fruits de la croissance. La construction d’un centre de santé élémentaire commencée en 1985 ne sera achevée qu’en 2006 à cause d’un entrepreneur véreux et d’un réseau de fonctionnaires corrompus. A l’audience de la chambre correctionnelle du 13 novembre 2000, A. Philippe est convaincu de détournement de deniers publics et d’escroquerie. Il est condamné à deux ans d’emprisonnement ferme. Il doit en outre payer une amende de trois millions cinq cent mille francs au Trésor public.

TOMO. O. Cyrille


P.S : Les travaux de construction du Centre de Santé Elémentaire de MVOMEKAK II reprendront en 2005 à la suite d’un dossier monté par EDING NNAM à l’intention de M. OLANGUENA AWONO, Ministre de la santé Publique. Grâce à l’intermédiation du député - suppléant ESSAMA Louis Marie. Ces travaux sont aujourd’hui achevés. Le CSE n’est cependant pas encore véritablement fonctionnel faute d’équipements et de médicaments. En 2005 l’association EDING NNAM a changé d’orientation stratégique. A son volet « lutte contre la pauvreté » est venu se greffer un volet autonome de lutte contre la corruption sous la dénomination « Voies Nouvelles ».

La corruption:un déni des droits de l'homme

La lettre du mois
décembre 2006

LA CORRUPTION : UN DENI DES DROITS DE L’HOMME

Les journées du 9 et 10 décembre ont été respectivement consacrées Journée de la lutte contre la Corruption et Journée des Droits de l’Homme. La proximité calendaire de ces deux thématiques ne nous semble pas fortuite. Elle vient nous rappeler, très opportunément, que la corruption constitue un véritable déni des droits de l’Homme.

Et de fait, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 établissait déjà, en son temps, un lien de sujétion fort entre la corruption et les Droits de l’Homme. Dans son préambule, ce document fondateur des rapports entre les citoyens, l’Etat et la Loi dispose en effet que « l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements ».
L’une des manifestations les plus courantes de la corruption au Cameroun est celle qui tend à priver le citoyen de son droit à jouir du service public. Comme l’a prouvé une enquête réalisée par Voies Nouvelles en avril et mai 2006 , il s’agit d’une privation par la violence et l’arbitraire. Par des voies détournées et des pressions de toute nature, les agents de l’administration en arrivent à contraindre illégalement les usagers à acheter une prestation qui leur est normalement due. Et là où la seule qualité d’Homme et de Citoyen aurait suffi, la corruption introduit un facteur superfétatoire qui tend à opérer une discrimination par l’argent, le sexe, l’entregent, etc. Or la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen dispose clairement que tous les citoyens, étant égaux aux yeux de la loi, « sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». L’étude menée en 2005 par AGAGES, IMCS, SEP et VIPOD dans le cadre du programme Concerter Pluri-acteurs sur les cellules ministérielles de lutte contre la de notre administration a dû se résoudre, malheureusement, à conclure à l’inefficacité de ces structures.
Autre forme de corruption, autre cas de figure de déni des Droits de l’Homme : celle qui prive les citoyens, généralement les plus pauvres, d’une bonne partie des ressources affectées par l’Etat à leur bien-être. Selon Christol Georges Manon, alors Président de l'Observatoire de lutte contre la Corruption, pas moins de 40% des recettes enregistrées chaque année seraient détournées par des bandits à cols blancs dont nous commençons tout juste à entrevoir la capacité de nuisance depuis que quelques-uns d’entre eux, une infime minorité, fait l’objet de poursuites judiciaires dans le cadre de l’opération « Epervier » notamment. C’est dire que pour un budget équilibré en recettes et en dépenses à 2251 milliards comme c’est le cas pour le budget de l’Etat 2007, ce sont plus de 900 milliards qui seraient détournés par des particuliers pour leur seul profit! Dans l’exemple pris, 40%, c’est nettement plus que les 726 milliards attendus de l’ensemble des recettes pétrolières ; c’est juste un peu moins du double de ce qui est prévu comme ensemble des dépenses de personnel (479 milliards) et presque le quadruple de ce qui est attendu comme apport des partenaires extérieurs (231 milliards). 900 milliards, c’est la somme qu’il faudrait pour construire 106 000 salles de classe, acheter 25 millions de tables- bancs (de quoi équiper 1000 salles de classe !), aménager plus de 1.600 000 latrines et autant de points d’eau !
Relevons, pour terminer, que les détournements ne sont eux-mêmes rendus possibles qu’à la faveur du déni du droit républicain à l’information et à la participation du citoyen. La corruption ne s’est en effet jamais accommodée de la lumière et de la transparence. Et dans ce domaine qui emprunte ses méthodes à la mafia en effet, nul doute qu’il vaille mieux maintenir le citoyen dans l’ignorance de ses droits, le priver de l’information pertinente et le tenir à l’écart de tous les mécanismes de vérification et de contrôle de l’usage qui est fait des fonds publics pour multiplier ses chances de détourner en toute impunité. Une expérience ougandaise a démontré qu’une meilleure circulation de l’information, une participation plus accrue des populations à la réalisation des projets et l’obligation faite aux gouvernants de rendre compte pouvaient faire chuter drastiquement le pourcentage des fonds publics détournés. Au Cameroun, il faut malheureusement constater que les populations ne sont véritablement associées ni à l’élaboration, ni au contrôle de l’exécution du budget qui reste une affaire de « spécialistes ». Les choses se sont passées jusqu’ici dans notre pays comme si certains n’avaient pas leur mot à dire même dans la gestion des affaires locales. D’autres se sont arrogés le droit de dire et de faire ce qui est bon pour eux. Assurément, les Droits de l’Homme ne peuvent s’accommoder d’une telle distribution inégalitaire et inique des rôles ; Dynamique Citoyenne non plus.

BEFIDI Jeanne Marie- Bernard

Le langage de la corruption chez les jeunes(suite)

La lettre du mois

juillet 2006

LE LANGAGE DE LA CORRUPTION CHEZ LES JEUNES (suite)

Une enquête menée par Voies Nouvelles sur la perception de la corruption par la jeunesse révèle que pour parler de la corruption, les jeunes puisent dans les registres les plus variés, et le recours aux langues locales tient ici une place de choix, ainsi que le jargon des NTIC.

Ainsi, le mot mimbo trône depuis des lustres dans le royaume lexical de la corruption et signifie vin en « pidjin », une adaptation locale de l’anglais. Le vocable ndjaraba évoque quant à lui une idée de cadeau, de bonus qu’on obtient lors d’une négociation ou d’un achat. Ce vocable a pris naissance dans les milieux du marché de sable de la ville de Yaoundé des années 80 ; il y désignait quelques pelletées offertes en prime à l’acheteur. Le mot a prospéré et s’est étendu au monde des «affaires » troubles pour désigner tout profit, licite ou illicite. Les termes fey, feymania ou frappe ont quant à eux une connotation nettement plus amorale. Ils renvoient à une tentative réussie ou non d’escroquerie. A cette référence à l’escroquerie, le sissia ajoute une idée de pression, d’intimidation et de chantage pour obtenir de son interlocuteur quelque avantage indu. Eboarzel est un mot emprunté au patrimoine linguistique Beti (populations du Centre, de l’Est et du Sud Cameroun). Il est l’équivalent local et littéral de l’expression « mouiller la barbe ». Le ndjo’o fait référence à quelque chose qu’on obtient sans effort et sans contrepartie. Le Koumba fait référence à de faux actes d’état civil. Koumba est la forme francisée de Kumba, nom d’une ville du Sud-Ouest Cameroun particulièrement réputée dans l’établissement frauduleux des actes administratifs, et singulièrement des actes de naissance, pour satisfaire aux conditions d’âge exigées dans les différents concours et dossiers administratifs. Le ndjangui signifie tontine. Très répandu dans la société camerounaise, cette pratique consiste à cotiser des sommes d’argent et à les remettre dans la plupart des cas à l’un ou l’autre membre du groupe des cotisants. Autre vocable très populaire: le gombo. Ce terme désigne un condiment très prisé dans la cuisine camerounaise. Son usage a connu un essor fulgurant depuis qu’il est associé à l’idée de gain réalisé par les journalistes et autres professionnels des média en dehors de leur salaire ou de tout autre émolument classique. En tant que condiment, le gombo a la particularité de rendre les sauces gluantes et de faciliter ainsi la déglutition. C’est probablement en référence à cette propriété qu’il fait aujourd’hui partie du vocabulaire très « in » de la corruption. Le « gombo » n’est-il effectivement pas là pour « faciliter » les rapports entre corrupteurs et corrompus ?
Autre source d’inspiration majeure de la jeunesse, le recours au langage des nouvelles techniques de l’information et de la communication. Code PUK, grattage, mot de passe et réseau font en effet partie du langage courant de la téléphonie mobile. Le code PUK sert à débloquer les cartes SIM qui jouent un rôle d’interface entre l’opérateur et le client. En règle générale, deux modes de facturation sont proposés par les opérateurs: une facturation classique et l’achat de cartes prépayées. Dans le premier cas, le client paye ses consommations à échéances fixes après présentation d’une facture. Dans le second, il achète une carte prépayée qu’il faut « gratter » pour découvrir un « code » qui vous donne le droit de communiquer pour le montant correspondant à la valeur faciale de la carte prépayée. Il faut relever qu’aucune communication n’est possible tant qu’il n’y a pas de « réseau », c’est-à-dire la garantie technique d’interconnections entre les différents usagers. Qu’il s’agisse de téléphonie mobile ou de services informatiques tels qu’Internet, la confidentialité et la sécurité sont de rigueur, d’où la nécessité de « mots de passe » qui sont des clés d’accès personnalisées pour filtrer l’accès à ces services. A l’évidence c’est ce caractère confidentiel, face à face, intime, presque secret de l’accès aux services offerts dans le cadre des NTIC que les jeunes ont retenu et transféré dans leur vocabulaire de la corruption.
Parler de « code » implique en effet un savoir, des possibilités de communication et donc un pouvoir qui fait du détenteur du code un privilégié. Détenir le code, c’est faire partie du réseau de ceux qui savent, de ceux qui traversent les différents écueils qui se dressent sur leur route quand les autres ne peuvent progresser et restent bloqués, précisément à cause de leur ignorance du code qui consacre leur non appartenance au réseau. Les mots et expressions « vision, visionnage, visionne-moi après » font eux aussi clairement référence aux NTIC. Le visionnage évoque un spectacle projeté sur un écran par un moyen ou un autre. Il est synonyme de visibilité. Et pour celui qui traite le dossier, il est la garantie que ses intérêts personnels ne sont pas négligés par l’usager. Le visionnage bat en brèche l’idée reçue d’un traitement anonyme des dossiers dans les services publics. Il traduit plutôt la nécessité d’une relation de face à face entre le fonctionnaire et l’usager, le corrupteur et le corrompu, tant il est vrai que l’anonymat et l’absence de contacts personnels sont les pires ennemis de la corruption.

BEFIDI Jeanne Marie Bernard
Professeur de philosophie
Présidente de Voies Nouvelles



Le langage de la corruption chez les jeunes

La lettre du mois
Juin 2006


LE LANGAGE DE LA CORRUPTION CHEZ LES JEUNES.

100 locutions ayant trait à la corruption, pas moins, ont été recensées au cours des mois de mai et juin 2006 dans le cadre d’une enquête réalisée par Voies Nouvelles sur La perception de la corruption par les jeunes.

Un tel foisonnement sémantique est, à lui tout seul, un indicateur pertinent de la réalité de la corruption dans la vie des jeunes. Et pour parler de ce fléau, ces derniers puisent dans un lexique tantôt classique, tantôt résolument original: mouiller la barbe, pot de vin, pourboire, dessous de table, graisser la patte, argent sale, bakchich, favoritisme, monnayage des services, achat des consciences certes, mais aussi farotage, casser delco, main levée, grattage, etc.

Ces mots et expressions peuvent d’ailleurs se décliner sous plusieurs formes dérivées. Ainsi, au lieu de parler de pot de vin, certains locuteurs font référence à la bière, au whisky, au jus (boisson sucrée non alcoolisée), voire au champagne. Tout est ici question du montant de la somme attendue ou exigée pour rendre service ou fermer les yeux. Une échelle de valeur connue de tous place le champagne au-dessus du whisky, le whisky au-dessus du vin, le vin au-dessus de la bière et la bière au-dessus du jus.

L’argent de la bière, l’argent du jus ou du whisky…se confond donc littéralement au pourboire, à l’argent pour boire. Cet argent peut aussi être destiné à payer le taxi du fonctionnaire sollicité ou lui permettre de s’acheter de quoi se nourrir. L’expression courante « c’est ça qu’on mange ? » est de ce point de vue une invite claire à mettre la main à la poche pour payer un service attendu ou solliciter un passe-droit. Elle marque aussi le profond agacement, voire le mépris ( !) de l’agent sollicité à l’endroit de l’usager qui veut déroger aux usages, celui - là qui ne veut pas « faire comme les autres » et feint d’ignorer que « la chèvre broute là où elle est attachée ».

En clair, lorsqu’on sollicite un agent public, il faut « faire le geste qui sauve, motiver, mettre en haut, lancer, donner la ration ou le soubassement, jouer le jeu». Et si on ne l’a pas «vu après, visionné », tant qu’on n’a pas « négocié, fait un clin d’œil, lavé ou rincé les yeux » de l’agent intéressé, le dossier n’est pas traité. Les connaisseurs, ceux qui ont le « réseau (ou le tuyau) », le « mot de passe ou le code puk », savent bien qu’il faut « joindre la personne au dossier, compléter celui-ci, lui donner des ailes ». Pour les non-initiés, cela signifie qu’il faut « donner un petit quelque chose » au bureaucrate, lui remettre une « enveloppe» et lui permettre ainsi de « pointer », de se constituer « un petit magot ». En somme, il faut lui « graisser la patte ». Le « système » étant grippé, il est en effet nécessaire de le « lubrifier »…et vogue la galère de la corruption!

Pour les corrupteurs et les corrompus de tout poil donc, tout ce qui peut se passer dans le cadre du service public est considéré comme une « affaire, un business », ni plus ni moins. Ceci dit, il faut ajouter que les jeunes ont une claire conscience du côté répréhensible de ces transactions. Ceux que nous avons interrogés n’hésitent pas à parler de « mafia », de « carrefour du donner et du recevoir » ou s’opère « troc et échange». « Droit de cuissage, promotion canapé, favoritisme » y ont inévitablement cours. Il faut en effet « payer avant d’être servi ». Et lorsqu’on n’a ni argent ni relations, on peut se servir du sexe comme monnaie d’échange et « se courber ».

TOMO O. Cyrille
Psychologue du travail

Article 66 de la constitution:les textes d'application entretiennent le dilatoire

La lettre du mois
avril 2006


ARTICLE 66 DE LA CONSTITUTION : LES TEXTES D’APPLICATION ENTRETIENNENT LE DILATOIRE

10 ans après l’entrée en vigueur de la Constitution du 18 janvier 1996, son fameux article 66 vient donc de faire l’objet d’un texte d’application : la loi n° 003/2006 du 25 avril 2006 relative à la déclaration des biens et avoirs vient en effet d’être promulguée par le Président de la République… 10 ans après ! Cette loi n’est cependant pas encore applicable faute de… décrets d’application.

La non application de l’article 66 de la constitution du 18 janvier 1996 avait fini par symboliser à elle toute seule l’attitude velléitaire et hésitante du gouvernement de M. Paul BIYA en matière de lutte contre la corruption. On comprend dès lors l’acharnement et la vigueur dont les organisations de la société civile ont fait preuve pour dénoncer la mise sous le boisseau d’une disposition pourtant pertinente de la loi fondamentale, une mise sous le boisseau en contradiction flagrante avec le discours officiel qui est celui d’une lutte tous azimuts contre la corruption : Dynamique Citoyenne, lors de ses journées de mobilisation contre la corruption et pour le respect des droits de l’Homme les 9 et 10 décembre 2005 ; SEP, AGAGES, VIPOD, IMCS, le 16 janvier 2006 lors de l’atelier de restitution de l’étude portant évaluation indépendante des Cellules Ministérielles de Lutte Contre la Corruption ; Voies Nouvelles dans ses « Lettres du Mois », notamment celles de février et mars 2006… Il n’y a pas jusqu’à M. Niels MARQUARDT, l’ambassadeur des Etats –Unis, qui ne soit sorti de ses gonds diplomatiques pour joindre sa voix à toutes celles qui s’élevaient avec véhémence contre la non application de l’article 66. C’était le 19 janvier 2006, au cours d’une conférence de presse tenue à la Maison de la Communication à Yaoundé.
La loi relative à la déclaration des biens et avoirs qui vient donc d’être promulguée par le Président de la République vise un très large éventail de personnalités. L’obligation de déclaration concerne l’ensemble du patrimoine : biens meubles, immeubles, corporels et incorporels, qu’ils se trouvent à l’intérieur ou à l’extérieur du Cameroun, avantages divers…Seuls sont exemptés de déclaration les articles ménagers et les effets personnels. La déclaration se fait devant une commission de 9 membres dénommée « Commission de Déclaration des Biens et Avoirs » dans des conditions de confidentialité, voire de secret très strictes. A la prise de fonction, le déclarant dispose d’un délai maximum de 120 jours pour déclarer ses biens et avoirs (90 jours pour la déclaration proprement dite et 30jours pour apporter d’éventuels compléments d’information). A la fin du mandat ou de la fonction, ce délai passe à 90 jours (60 jours pour la déclaration et 30 jours pour d’éventuels compléments). Lorsque la Commission constate un enrichissement non justifié du déclarant, elle peut engager des transactions avec le mis en cause en vue de rétablir l’Etat dans ses droits. La saisine de la justice n’intervient que lorsque la transaction n’a pas été acceptée. Dans ce cas, la Commission en réfère préalablement au Président de la République.
En définitive, si la loi ainsi promulguée a le mérite d’exister malgré son caractère perfectible, on ne peut manquer de regretter que l’article 66 ne soit toujours pas applicable. Il faut encore attendre d’éventuels décrets du Président de la République qui viendraient « préciser en tant que de besoin », selon la formule consacrée, les modalités d’application d’une loi prise elle-même en application d’une autre loi. Et Dieu seul sait le temps que tout cela peut encore durer : quelques semaines, des mois, des années peut-être ? A moins d’un renvoi pur et simple aux calendes grecques ! Une telle hypothèse ne relève d’ailleurs pas de la simple spéculation ou de l’impossibilité (impossible n’est pas camerounais n’est-ce pas ?). On dénombre en effet quantité de lois dans notre arsenal juridique qui n’ont jamais été appliquées… faute de textes d’application. On peut même aller jusqu’à affirmer que dans notre pays, certaines lois sont cyniquement pensées pour ne pas être appliquées. Ceux qui nous gouvernent usent et abusent précisément de l’arme fatale du texte d’application pour créer et entretenir indéfiniment le dilatoire. La question se pose donc : à quand la déclaration effective des biens et avoirs au Cameroun ? Question subsidiaire : pourquoi un gouvernement promulgue-t-il des lois qu’il ne peut ou ne veut pas appliquer ? Qu’on en soit encore aujourd’hui à se poser ces questions au sujet de l’article 66 ne peut qu’inciter les organisations de la société civile camerounaise à ne pas baisser la garde. Le seul mot d’ordre reste donc : vigilance et mobilisation. On est ensemble !

Otombita Neville Chamberlain
Secrétaire Général de Voies Nouvelles
Consultant AGAGES MANAGEMENT CONSULTANTS

6 février 2007

Quelle signification donner aux interpellations en cours

La lettre du mois
mars 2006


LUTTE CONTRE LA CORRUPTION AU CAMEROUN : QUELLE SIGNIFICATION DONNER AUX INTERPELLATIONS EN COURS ?

Les anciens directeurs généraux de la SIC, du CFC, du FEICOM, de la SODECAO et du port autonome de Douala ont été interpellés et mis à la disposition des autorités judiciaires sur instructions du Chef de l’Etat. Il leur est reproché la mauvaise gestion des sociétés dont ils avaient la charge. La question se pose donc de savoir quelle signification donner à ces interpellations : changement stratégique dans la lutte contre la corruption au Cameroun ou simple manœuvre liée à la conjoncture sociale, économique et politique.

En faveur de la thèse « tempête dans un verre d’eau », on ne peut manquer d’évoquer l’arrestation, il y a quelques années, de MM. Mounchipou Seydou, Engo Désiré, Edzoa Titus. A l’évidence, ces arrestations - qui à leur époque avaient été présentées comme de hauts faits d’armes dans la lutte contre la corruption et salués comme tels par l’opinion - n’ont finalement eu aucun impact sur la façon dont sont gérées les finances publiques au Cameroun. Second argument : la non application, dix ans après la promulgation de la Constitution de janvier 1996, de son article 66 qui prescrit la déclaration de leurs biens à tous les bénéficiaires d’une charge publique importante. Il y a aussi cette inertie voulue et entretenue de la Justice, du Contrôle Supérieur de L’Etat et de toutes les autres instances chargées, à un niveau ou à un autre, du contrôle de la gestion des fonds publics. A cette inertie est venue se superposer la mauvaise orientation stratégique donnée au Comité Ad Hoc, à l’Observatoire et aux Cellules Ministérielles de Lutte contre la Corruption, mauvaise orientation stratégique qui rend compte du manque d’efficacité de ces structures. Autre élément qui n’incite pas à l’optimisme : l’hypothèse forte et crédible d’une action impulsée du dehors par les bailleurs de fonds internationaux, point d’achèvement de l’Initiative Pays Pauvre Très Endetté oblige. Citons encore la survenue pour le moins tardive de la décision du Chef de l’Etat qui a longtemps tergiversé et fermé les yeux sur la gestion peu orthodoxe des finances publiques. On ne peut manquer de rappeler ici cette malheureuse sortie médiatique dans laquelle il avait exigé que les preuves de la culpabilité des gestionnaires indélicats lui soient fournies on ne sait trop par qui. Last but not least, les interpellations actuelles ne semblent pas s’inscrire dans un cadre programmatique et stratégique clairement défini et dont la transparence pourrait permettre de prévoir la suite des évènements, si tant est que suite des évènements il y aura.

En faveur de l’hypothèse d’un tournant décisif dans la lutte contre la corruption, il y a lieu de considérer le fait que MM. Emmanuel Ondo Ndong, Joseph Edou, Gilles Roger Belinga, Siyam Siewe, … et leurs acolytes sont ce qu’il est convenu d’appeler des baleines. Aussi, il y a eu, ces derniers temps, comme une montée en gamme, à défaut de radicalisation, du discours du Chef de l’Etat en matière de lutte contre la corruption. Sa dernière allocution à Monatélé le 5 octobre 2004 constitue de ce point de vue une référence. Il y affirme avec force sa volonté de mettre bon ordre à la gestion de la chose publique en tordant le cou à la corruption. Cet engagement sera réitéré avec fermeté dans le discours à la Nation du 31 décembre 2005. On se souvient aussi de ce que dans le cadre du Plan National de Gouvernance Révisé qui couvre la période 2006-2010, Plan National de Gouvernance Révisé qui a été porté sur les fonts baptismaux le 29 novembre 2005, des instructions ont été données pour redynamiser les cellules ministérielles de lutte contre la corruption et mettre à leur disposition des moyens financiers conséquents. Par ailleurs, les membres de la Chambre des Comptes de la Cour Suprême viennent d’être nommés et installés. Dans la foulée, l’Agence Nationale d’Investissement Financière présentée par le Chef de l’Etat dans son discours de fin d’année 2005 comme une structure de lutte contre la corruption - mais qui en fait s’occupe de la lutte contre le blanchiment de l’argent sale - a démarré ses activités. Et il y a quand même ces arrestations dont la symbolique ne doit pas être sous-estimée : tous ceux qui ont été arrêtés sont de grands zélateurs de M. Paul Biya et d’éminents RDPCistes. Enfin, il semble difficile de croire que le Chef de l’Etat n’ait pas une claire conscience qu’il joue ici une carte qui déterminera en partie le souvenir que l’histoire gardera de sa personne. Des attentes ont été suscitées et ces attentes ne doivent pas être déçues: le peuple est en effet témoin et victime du pillage des ressources de l’Etat et il a ses listes. Il souhaite que tous les kleptocrates soient interpellés, confondus et condamnés mais surtout, il exige que la richesse mal acquise soit confisquée et reversée dans le patrimoine national.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, il semble bien difficile de se prononcer sur la signification profonde et la finalité réelle des dernières arrestations. Si celles-ci donnent des raisons d’espérer, beaucoup de questions restent sans réponse et beaucoup de zones d’ombres subsistent pour affirmer, sans risque de se tromper, que la lutte contre la corruption a véritablement pris un tournant décisif dans notre pays. La question du scénario retenu par le Chef de l’Etat par exemple n’est pas sans importance or, nous ne savons rien de ce scénario. La marge de manœuvre de l’institution judiciaire et de toutes les instances chargées du contrôle de l’orthodoxie de la gestion des ressources de l’Etat est-elle significativement plus grande aujourd’hui? Accordera-t-on désormais plus d’attention au choix, au contrôle, à la sanction et à l’ascension du personnel politique et administratif? Autant de question et d’autres auxquelles on ne peut aujourd’hui apporter des réponses claires, explicites et sûres, et qui pourtant déterminent tout jugement objectif sur la question de la lutte contre la corruption au Cameroun.

BEFIDI Jeanne Marie Bernard
Professeur de philosophie
Présidente de Voies Nouvelles