7 février 2007

Le langage de la corruption chez les jeunes

La lettre du mois
Juin 2006


LE LANGAGE DE LA CORRUPTION CHEZ LES JEUNES.

100 locutions ayant trait à la corruption, pas moins, ont été recensées au cours des mois de mai et juin 2006 dans le cadre d’une enquête réalisée par Voies Nouvelles sur La perception de la corruption par les jeunes.

Un tel foisonnement sémantique est, à lui tout seul, un indicateur pertinent de la réalité de la corruption dans la vie des jeunes. Et pour parler de ce fléau, ces derniers puisent dans un lexique tantôt classique, tantôt résolument original: mouiller la barbe, pot de vin, pourboire, dessous de table, graisser la patte, argent sale, bakchich, favoritisme, monnayage des services, achat des consciences certes, mais aussi farotage, casser delco, main levée, grattage, etc.

Ces mots et expressions peuvent d’ailleurs se décliner sous plusieurs formes dérivées. Ainsi, au lieu de parler de pot de vin, certains locuteurs font référence à la bière, au whisky, au jus (boisson sucrée non alcoolisée), voire au champagne. Tout est ici question du montant de la somme attendue ou exigée pour rendre service ou fermer les yeux. Une échelle de valeur connue de tous place le champagne au-dessus du whisky, le whisky au-dessus du vin, le vin au-dessus de la bière et la bière au-dessus du jus.

L’argent de la bière, l’argent du jus ou du whisky…se confond donc littéralement au pourboire, à l’argent pour boire. Cet argent peut aussi être destiné à payer le taxi du fonctionnaire sollicité ou lui permettre de s’acheter de quoi se nourrir. L’expression courante « c’est ça qu’on mange ? » est de ce point de vue une invite claire à mettre la main à la poche pour payer un service attendu ou solliciter un passe-droit. Elle marque aussi le profond agacement, voire le mépris ( !) de l’agent sollicité à l’endroit de l’usager qui veut déroger aux usages, celui - là qui ne veut pas « faire comme les autres » et feint d’ignorer que « la chèvre broute là où elle est attachée ».

En clair, lorsqu’on sollicite un agent public, il faut « faire le geste qui sauve, motiver, mettre en haut, lancer, donner la ration ou le soubassement, jouer le jeu». Et si on ne l’a pas «vu après, visionné », tant qu’on n’a pas « négocié, fait un clin d’œil, lavé ou rincé les yeux » de l’agent intéressé, le dossier n’est pas traité. Les connaisseurs, ceux qui ont le « réseau (ou le tuyau) », le « mot de passe ou le code puk », savent bien qu’il faut « joindre la personne au dossier, compléter celui-ci, lui donner des ailes ». Pour les non-initiés, cela signifie qu’il faut « donner un petit quelque chose » au bureaucrate, lui remettre une « enveloppe» et lui permettre ainsi de « pointer », de se constituer « un petit magot ». En somme, il faut lui « graisser la patte ». Le « système » étant grippé, il est en effet nécessaire de le « lubrifier »…et vogue la galère de la corruption!

Pour les corrupteurs et les corrompus de tout poil donc, tout ce qui peut se passer dans le cadre du service public est considéré comme une « affaire, un business », ni plus ni moins. Ceci dit, il faut ajouter que les jeunes ont une claire conscience du côté répréhensible de ces transactions. Ceux que nous avons interrogés n’hésitent pas à parler de « mafia », de « carrefour du donner et du recevoir » ou s’opère « troc et échange». « Droit de cuissage, promotion canapé, favoritisme » y ont inévitablement cours. Il faut en effet « payer avant d’être servi ». Et lorsqu’on n’a ni argent ni relations, on peut se servir du sexe comme monnaie d’échange et « se courber ».

TOMO O. Cyrille
Psychologue du travail

Aucun commentaire: