7 février 2007

Chronique d'un procès contre un entrepreneur véreux

La lettre du mois
janvier 2007


CHRONIQUE D’UN PROCES CONTRE UN ENTREPRENEUR VEREUX

Grâce au courage et à la ténacité des leaders de l’association EDING NNAM qui s’étaient opposés aux agissements malsains d’un entrepreneur véreux, la Cour d’Appel du Centre découvrit avec ébahissement l’étendue et l’ampleur des combines et des malversations qui privent le petit peuple du bénéfice des fruits de la croissance. La construction d’un centre de santé élémentaire commencée en 1985 ne sera achevée qu’en 2006, plus de vingt ans après, à cause d’un entrepreneur véreux et d’un réseau de fonctionnaires corrompus.

MVOMEKAK II, un village Eton, dans la LEKIE, l’un des dix départements qui composent la Province du Centre. Nous sommes un week-end. Les populations se livrent à une séance d’investissement humain à l’appel du président de l’association de développement EDING NNAM qui vient d’être portée sur ses fonts baptismaux. Jeunes et vieux, hommes et femmes, lettrés, semi - lettrés et analphabètes, autochtones et habitants de la ville, élites intérieures et élites extérieures… chacun trouve ici à s’occuper selon ses forces et son statut : les plus vigoureux manient la machette avec l’aisance et la dextérité que seul permet une longue pratique. Les broussailles qui bordent la route voltigent et tombent les unes après les autres. Les enfants rassemblent les herbes fauchées qui seront brûlées plus tard. Les femmes raclent le sol à la houe, servent la boisson, eau ou vin de palme, houspillent les flemmards et aiguillonnent les hommes de leurs quolibets. Même le patriarche du village qui n’est plus bon à grand’ chose a tenu à apporter sa contribution. Il tient aussi à partager la douce chaleur humaine qui se dégage et raconte des anecdotes qui entretiennent l’ambiance bon enfant qui prévaut. C’est lui qui a cédé le terrain qui accueille le Centre de Santé du village et il en est très fier. Près d’un kilomètre de route a déjà été nettoyé, et seule la sueur qui dégouline des torses nus et des visages brillants laisse deviner l’intensité des efforts fournis. Heureusement, le travail va bientôt prendre fin et céder la place à des ripailles monstres. Le chantier de construction du Centre de Santé Elémentaire du village a en effet été fixé comme ligne d’arrivée des travaux et les hommes les plus avancés y sont déjà. Progressivement, ils sortent la structure des ronces et des buissons. C’est à ce moment qu’une camionnette de marque TOYOTA, modèle DYNA, pénètre dans le chantier et s’arrête devant un gros tas de sable blanc. Deux individus en sortent et sans autre forme de procès, ils se mettent en position de charger le sable dans leur véhicule. Les populations s’opposent à leur entreprise ; il s’ensuit une vive altercation.

Le chantier de construction du Centre de Santé Elémentaire de MVOMEKAK II avait été choisi comme point de chute des travaux d’investissement humain par les dirigeants de la jeune association EDING NNAM. Ce chantier, inauguré autour des années 85 – 86, était à l’abandon depuis 1990.Cinq longues années. La séance d’investissement humain avait entre autres objectifs de le débarrasser des herbes folles qui le dévoraient littéralement. 28 000 000 de francs CFA y avaient été engloutis au travers de deux lettres commande et de deux avenants. Les travaux n’avaient cependant pas beaucoup avancé. Seuls les murs d’une grande bâtisse grise et triste de vingt huit mètres de long sur seize mètres de large avaient été élevés. Vingt huit mètres de long sur seize mètres de large : trop grand ; des standards d’une autre époque, ceux qui étaient encore en vigueur dans les années 80 d’avant la crise économique qui a frappé le Cameroun et dont les effets rentent encore perceptibles. A côté de ce bâtiment dont les parpaings gris commençaient à se désagréger sous l’effet des intempéries et dont les maçonneries éclataient sous la pression des fers à béton rouillés était disposé un gros tas de sable blanc damé par les pluies de dix saisons successives. C’est ce tas de sable qui était l’objet de la convoitise de l’entrepreneur A. Philippe et de son aide en cette matinée du 15 juillet 1995.

A. Philippe : une fripouille. C’est à lui que le marché de construction du Centre de Santé Elémentaire de MVOMEKAK II avait été confié dix ans plutôt. Il était le prototype de cette race d’hommes d’affaires qui a prospéré au Cameroun avec le Renouveau de M. Paul BIYA. Ignare, presque analphabète, pas patriotique pour un sou, la quarantaine bedonnante, ne disposant d’aucune compétence dans le bâtiment. Il possédait cependant une connaissance aiguë de son milieu et maniait avec dextérité l’arme de la corruption et des pots de vin. Rusé comme une tortue, il savait comment utiliser un carnet d’adresses pour obtenir ce qu’il voulait. Sans être vraiment riche, il avait accumulé quelques biens et c’est cette relative aisance qui lui permettait de traiter les villageois avec mépris, dédain et condescendance. Il avait détourné une bonne partie des 28 000 000 de francs CFA alloués à la construction du Centre de Santé Elémentaire de MVOMEKAK II avec la complicité de toutes les instances commises au contrôle du chantier. Le Chef Service Départemental de la Santé Publique, Le Directeur des Grands Travaux du Centre, les membres de la Subdivision des Constructions, le Contrôleur Départemental des Finances, le représentant de la Délégation Départementale du Ministère du Plan et de l’Aménagement du Territoire. Non content de cela, il avait aussi entrepris de s’accaparer de tout ce qui pouvait l’être encore sur le site du chantier abandonné. Et cela malgré l’opposition des populations. Après les portes et les fenêtres avec grilles métalliques, plusieurs tonnes de gravier avaient été emportées. Cette fois, A. Philippe avait décidé de faire main basse sur plusieurs tonnes de sable fin. Mais il se heurtait à une résistance farouche et inattendue.

Les populations de MVOMEKAK II n’avaient jamais apprécié le fait que les travaux de construction de leur Centre de Santé aient été arrêtés. Elles appréciaient encore moins les razzias opérées par l’homme d’affaires véreux A. Philippe. Elles avaient donc tenté de s’opposer à lui lorsqu’il avait entrepris d’emporter les portes, puis les fenêtres avec leurs grilles métalliques ainsi que plusieurs tonnes de gravier, sans succès. Elles avaient peur de l’entrepreneur qui vivait à MONATELE, le chef lieu du département. N’était-il pas « à tu et à toi » avec toutes les autorités administratives ? Le préfet et le sous-préfet, le commissaire de police et le commandant de brigade n’étaient-ils pas ses amis ? Aujourd’hui cependant, elles se sentaient plus fortes à côté de leurs leaders. Elles sentaient bien que l’entrepreneur véreux qui les avait toujours nargué n’allait pas avoir le dessus cette fois. Et malgré les injures, malgré les menaces, Elles tenaient bon. Dès le début de l’altercation, elles avaient envoyé quelqu’un appeler leurs élites, T. O. Cyrille et M. Simplice. Vraiment, A. Philippe avait enfin trouvé à qui parler !

T. O. Cyrille et M. Simplice étaient ce qu’il est convenu d’appeler au Cameroun « élites extérieures ». Ils se sentaient particulièrement interpellés par le développement de leur village MVOMEKAK II et ils avaient créé une association pour l’encadrement des populations dénommée EDING NNAM. Dans la langue Eton, EDING NNAM signifie littéralement « amour du pays » ou encore « amour des siens ».T. O. Cyrille était titulaire d’une maîtrise en psychologie du travail. Au moment des faits, il était Chef de service de la Planification et de l’Orientation Scolaire au Ministère de l’Education Nationale ; il fréquentait assidûment son village depuis que l’une de ses tantes l’y avait exhorté. « Une feuille d’arbre ne reste jamais suspendue ; elle finit toujours par tomber. Mon fils, ne reste pas en ville, ta place est parmi nous au village », lui avait-elle dit. C’est presque naturellement que T. O. Cyrille avait été porté à la tête de l’association EDING NNAM. M. Simplice, son compagnon et frère d’arme était quant à lui un instituteur. Très motivé et impliqué dans les questions de développement de son village, il était le trésorier de l’association EDING NNAM dont il avait eu l’initiative de la création. Au moment où l’entrepreneur véreux arrive sur le site du chantier abandonné pour s’emparer du gros tas de sable blanc qu’il convoite, T. O. Cyrille et M. Simplice sur qui la population s’appuie pour s’opposer farouchement aux noirs desseins de A. Philippe sont tous les deux en train de planifier le partage des victuailles amassées pour clore en beauté et en toute convivialité la séance d’investissement humain. T. O. Cyrille et M. Simplice abandonnent leur occupation pour aller faire face à l’entrepreneur véreux.

Lorsque les deux mousquetaires de l’association EDING NNAM arrivent sur les lieux de la dispute qui oppose A. Philippe aux populations de MVOMEKAK II, l’ambiance est électrique. T. O. Cyrille demande aux populations de se calmer. Il se présente à l’entrepreneur et présente aussi son compagnon M. Simplice. Il demande ensuite à A. Philippe de quel droit il vient charger le sable du chantier. La réponse de l’homme d’affaire véreux est cinglante de mépris. « Je ne parle pas aux chiens ! » siffle-t-il entre ses dents, les mâchoires contractées. Sans céder à la provocation et très calmement, le Président d’ EDING NNAM fait comprendre à A. Philippe qu’il ne partira pas avec un seul grain de sable s’il n’exhibe pas un papier qui l’y autorise. A. Philippe est furieux ; il se sent ridiculisé et humilié. « Vous n’êtes que de pauvres fonctionnaires que je peux employer dans mon entreprise », vocifère-t-il. Il est cependant obligé de repartir, penaud, la queue entre les jambes, sans un seul grain de sable. Les populations exultent. Elles ont gagné ! A. Philippe a vraiment trouvé à qui parler. Elles sont fières de leurs élites. Elles ne se doutent pas que les choses n’en resteront pas là.

Après le départ de l’entrepreneur A. Philippe, les travaux d’entretien routier et de désherbage du chantier du Centre de Santé abandonné sont menés à leur terme. Les victuailles prévues pour terminer en beauté la séance d’investissement humain sont partagées et consommées dans l’allégresse générale. Les suites à donner à l’altercation avec A. Philippe sont discutées entre deux bouchées de maquereaux. Il est décidé q’une lettre sera adressée au Sous - Préfet pour l’informer de l’incident. Des recherches devront aussi être faites pour savoir pourquoi les travaux de construction du Centre de Santé sont abandonnés et quelles sont les responsabilités de l’entrepreneur dans l’affaire. Quatre jours après, le 22 juillet 1995, une lettre est déposée au cabinet du Sous – Préfet. En objet est porté la mention suivante : Demande d’éclaircissements sur le ramassage des matériaux de construction du Centre de Santé de MVOMEKAK II par A. Philippe, entrepreneur à MONATELE. Parallèlement, des informations sur le chantier abandonné sont activement recherchées. De son côté, l’entrepreneur A. Philippe ne se tourne pas les pouces. Il avait été habitué à piller à sa guise le chantier de construction du Centre de Santé abandonné. A cause de l’opposition courageuse des populations de MVOMEKAK II et des dirigeants de leur jeune association EDING NNAM, il était rentré bredouille. Il se sentait blessé dans son amour propre. Il avait été ridiculisé et humilié devant les villageois par de « petits fonctionnaires, des gratte – papiers ». Non contents de lui faire perdre la face, ces derniers avaient pris l’initiative d’adresser une lettre de dénonciation de ses agissements au Sous-Préfet. Il lui fallait réagir, et vite. Sa décision était prise : il allait se venger des deux énergumènes qui avaient osé lui tenir tête. Tandis que ces derniers s’activaient à rechercher des informations sur le chantier abandonné, il avait sollicité les services d’un huissier pour ester en justice par voie de citation directe. L’homme de droit avaient retenu trois motifs contre T. O. Cyrille et M. Simplice : injures, menaces sous conditions, rétention sans droit de la chose d’autrui. Ces gratte-papiers sans le sou allaient voir de quel bois il se chauffait, lui, le fils de sa mère, A. Philippe.

Tandis que la lettre des leaders de l’association EDING NNAM adressée au Sous – Préfet de MONATELE restait sans réponse, la procédure judiciaire de l’entrepreneur véreux prospérait à une vitesse folle. Il avait mis son entregent, son carnet d’adresses et son argent à contribution pour obtenir la condamnation de ces « va-nu-pieds » qui avaient osé lui faire perdre la face devant des villageois, des moins que rien, lui, A. Philippe, homme d’affaires connu et reconnu à MONATELE. Après un simulacre de procès et quelques renvois, le verdict tombe comme un couperet en date du 23 juillet 1996. Un verdict arrangé, attendu, presque sans surprise : T. O. Cyrille et M. Simplice sont condamnés à six mois d’emprisonnement avec sursis pendant trois. Ils sont en outre tenus de verser solidairement 23 000 francs d’amende et deux cent dix mille francs de dommages - intérêts à la partie civile. La foudre semble s’être abattue sur le petit village de MVOMEKAK II lorsque les populations apprennent ce qui vient d’arriver à leurs champions. Ces derniers ne s’avouent cependant pas vaincu. Le 26 juillet 1996, ils font intégralement appel contre le jugement rendu par le Tribunal de Première Instance de MONATELE.

La justice camerounaise n’est pas précisément réputée pour sa célérité et ce n’est qu’en l’an 1999, soit plus de trois ans après que T. O. Cyrille et son compagnon d’infortune M. Simplice aient interjeté appel de l’intégralité du jugement correctionnel prononcé par le Tribunal de Première Instance de MONATELE que le dossier du chantier abandonné est à nouveau ouvert devant la Cour d’Appel de Yaoundé. Ici, les choses se présentent sous un autre jour. Non seulement l’entrepreneur véreux A. Philippe est sevré des soutiens qui faisaient sa force à MONATELE, mais encore, les leaders de l’association EDING NNAM se sont attachés les services d’un bon avocat, Me Daniel E. M., aujourd’hui décédé, paix à son âme. L’intervalle entre le prononcé du jugement au Tribunal de Première Instance de MONATELE et l’enrôlement de l’affaire à la Cour d’Appel du Centre à YAOUNDE a aussi été mis à profit pour accumuler des preuves sur les malversations de sieur A. Philippe et son réseau de complices. Des copies des différentes lettres - commande et des avenants ont été recherchées et obtenues. La première lettre – commande, référencée LC n° 466/LC/BB/J 85-86 CSE porte sur 5 000 000 FCFA ; la seconde lettre – commande référencée LC n°459/LC/BB/J 86-87 porte sur un montant de 15 000 000 FCFA. Quant aux différents avenants, le premier, référencé n°2/9/91 porte sur 8 000 000 FCFA tandis que le dernier, référencé n° 1/9/91 porte sur un montant de 800 000 FCFA. Plus que toute autre pièce cependant, ce sont les procès-verbaux de réception qui cloueront l'entrepreneur A. Philippe au pilori. L’un des procès –verbal de réception mentionne la pose de portes et de fenêtres en bois avec grilles métalliques. Les photos prises sur le site démontrent qu’il n’en est rien. Lors des débats, A. Philippe est obligé d’avouer qu’il avait certes apporté portes et fenêtres avec grilles métalliques lors de la cérémonie de réception provisoire, mais il s’était bien gardé de les poser. Quelques heures seulement après la cérémonie, il s’était empressé de déménager ce matériel pour un autre de ses chantiers. Un autre procès - verbal de réception certifiait l’exécution de « marche d’escalier en béton armé d’accès au bâtiment ». Coût de l’opération : 653 600 FCFA. Au jour d’aujourd’hui, il est encore loisible de constater que le Centre de Santé de MVOMEKAK II est un immeuble qui donne de plein pied dans la cour sans qu’on ait besoin d’emprunter un escalier quelconque pour y accéder.

Grâce au courage et à la ténacité des leaders de l’association EDING NNAM qui s’étaient opposés aux agissements malsains d’un entrepreneur véreux, la Cour d’Appel du Centre découvrit avec ébahissement toute l’étendue et l’ampleur des combines et des malversations qui privent le petit peuple du bénéfice des fruits de la croissance. La construction d’un centre de santé élémentaire commencée en 1985 ne sera achevée qu’en 2006 à cause d’un entrepreneur véreux et d’un réseau de fonctionnaires corrompus. A l’audience de la chambre correctionnelle du 13 novembre 2000, A. Philippe est convaincu de détournement de deniers publics et d’escroquerie. Il est condamné à deux ans d’emprisonnement ferme. Il doit en outre payer une amende de trois millions cinq cent mille francs au Trésor public.

TOMO. O. Cyrille


P.S : Les travaux de construction du Centre de Santé Elémentaire de MVOMEKAK II reprendront en 2005 à la suite d’un dossier monté par EDING NNAM à l’intention de M. OLANGUENA AWONO, Ministre de la santé Publique. Grâce à l’intermédiation du député - suppléant ESSAMA Louis Marie. Ces travaux sont aujourd’hui achevés. Le CSE n’est cependant pas encore véritablement fonctionnel faute d’équipements et de médicaments. En 2005 l’association EDING NNAM a changé d’orientation stratégique. A son volet « lutte contre la pauvreté » est venu se greffer un volet autonome de lutte contre la corruption sous la dénomination « Voies Nouvelles ».

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