8 février 2007

Corruption: les jeunes impliqués

Lettre du mois
mai 2006
Justifier
CORRUPTION : LES JEUNES IMPLIQUES !

A la question de savoir s’ils ont déjà été personnellement confrontés à la corruption, seulement 35,58% des jeunes interrogés répondent non tandis que près de 62% répondent par l’affirmative. Il s’agit – là d’un chiffre qui donne à penser.

Comment comprendre que la jeunesse, ce « fer de lance de la Nation » de tous les discours officiels, ce sel de la terre des évangiles, soit déjà attaqué par le virus de la corruption avant même que d’ « être aux affaires »? Que près de 62% des jeunes avouent en effet avoir déjà personnellement été impliqués dans des actes de corruption ne peut en effet que laisser perplexe. Si la jeunesse a déjà perdu son innocence, si cette jeunesse là a déjà perdu son intégrité morale, qui donc va relever le défi de la construction d’un Cameroun propre et sain, qui va relever le défi d’un Cameroun qui consacrerait l’essentiel de ses ressources au bien – être général de tous ses enfants ? N’est-ce pas la bible qui glose sur la difficulté qu’il y aurait à redonner goût au sel qui a perdu sa saveur ?
Le problème de la corruption des jeunes se pose avec d’autant plus d’angoisse que nous avons interrogé une frange qu’on pourrait croire privilégiée du point de vue de son instruction et de son éducation puisque, aussi bien, nous nous sommes adressés aux élèves des classes de première et de terminale de nos lycées et collèges. Une telle situation ne peut donc que conduire à interpeller avec force l’Ecole de la République. Quels sont ses objectifs ? Quelle est la qualité et la valeur de ses enseignements ? Quelle est en définitive sa propre valeur ?
Comment ne pas déplorer que l’Ecole ait abandonné ses missions les plus nobles, l’éducation, la transmission des valeurs morales, pour ne retenir que les objectifs les plus prosaïques :l’instruction, l’inculcation des connaissances intellectuelles. Et de fait, l’enseignement au Cameroun semble avoir été réduit à un exercice bureaucratique qui ne pose pas la question de la valeur de ses produits au plan civique et moins encore moral. Il est en effet symptomatique de constater que les seuls bilans qui soient faits par les autorités en charge de l’éducation dans notre pays ne concernent que les statistiques relatives au nombre des élèves admis aux différents examens officiels. Même dans les établissements scolaires d’obédience religieuse qui constituent plus de la moitié des établissements retenus dans notre échantillon, la catéchèse se réduit de plus en plus à une matière de cours sanctionnée par une note, comme la géographie et l’histoire, le français ou...l’éducation à la citoyenneté et à la morale.
Quant à l’enseignant camerounais, il n’a aujourd’hui qu’une seule préoccupation, débiter son cours, sans souci aucun de l’impact de ses enseignements sur les élèves qui lui sont confiés au plan de leur éducation. Son concours dans le franchissement de l’obstacle d’un examen officiel ou du passage en classe supérieure reste l’horizon indépassable de ses ambitions. La question éminemment éthique et déontologique de l’impact de ce qu’il dit ou de ce qu’il fait sur des élèves qui chaque jour lui échappent toujours un peu plus au plan strict des valeurs humaines et spirituelles n’est plus du domaine de ses préoccupations. Et devant le sort qui lui est fait au plan social, il a abandonné tout projet de modeler des personnalités, de sculpter des caractères, de forger des âmes, bref de faire œuvre éducative. Comment expliquer autrement cette frénésie autour de la vente des places dans les différents lycées à chaque rentrée scolaire? Comment comprendre que des enseignants soient au centre de cette mafia dont ils connaissent par ailleurs les conséquences : classes surchargées, baisse de niveau, échecs massifs aux examens… Comment comprendre que tout le long de l’année, les élèves soient l’objet de sollicitations financières et sexuelles pressantes et répétées. Comment comprendre enfin que les phases pratiques des différents examens officiels soient le lieu d’âpres négociations financières entre candidats et membres des jurys. Comment comprendre tout cela et l’accepter. A l’évidence, de telles dérives sont extrêmement dommageables pour notre pays et il nous semble urgent d’en rechercher les causes profondes afin d’y remédier.
Toute réflexion sur la décrépitude de l’école camerounaise au plan éthique ne peut se permettre l’économie d’un examen des conditions de vie et de travail des enseignants. Et même si leur clochardisation actuelle n’explique pas tout, il ne nous semble pas inutile de s’interroger sur les conséquences de la baisse du pouvoir d’achat de cette catégorie de travailleurs sur l’école camerounaise au regard des stratégies qu’elle met en œuvre pour boucler des fins de mois difficiles.
Il est un fait qu’après deux baisses de salaire successives et drastiques en 1993 suivies de la dévaluation du franc CFA en janvier 1994, les enseignants ont vu leur pouvoir d’achat fondre comme neige au soleil. Mais, au lieu de s’organiser dans des syndicats forts et crédibles capables de mener des batailles décisives avec l’Etat pour la défense de leurs intérêts matériels, ils ont plutôt opté pour de sordides solutions de débrouillardise et de promotion sociale individuelle qui, en dernière analyse, se réduisent à des actes de corruption. On doit pourtant à la vérité de dire que la corruption à l’école n’est finalement qu’une fausse solution à un vrai problème. Les questions relatives à la rémunération des travailleurs et à leurs conditions de travail sont d’une importance cruciale pour la société. Ces questions sont normalement appelées à trouver une solution dans le cadre du dialogue social. Dans toutes les démocraties du monde en effet, les syndicats sont les structures habiletées à négocier les problèmes des conditions de travail avec l’Etat. Mais, il faut le rappeler, les syndicats sont des structures de lutte. Il nous semble donc important que les travailleurs camerounais en général, les enseignants en particulier, se rendent bien compte que toute société humaine se bâtit par et au travers des luttes. De ce qui précède, nous tirons que la considération dont bénéficiera l’enseignant dans notre société sera à la mesure des efforts et des sacrifices qu’il est prêt à consentir pour la défense de ses intérêts bien compris. Combien d’enseignants sont aujourd’hui syndiqués et quelle est la force et la capacité de négociation des syndicats enseignants ?
En définitive, le problème de la corruption à l’école se confond en grande partie à celui de la place de l’école dans notre société. Cette place elle-même ne sera jamais que le fruit des luttes que les enseignants accepteront d’engager collectivement dans le cadre de syndicats forts.

L’Ecole ne fonctionnant pas en vase clos, aucune réflexion sérieuse sur la corruption des jeunes ne peut se permettre de faire l’impasse sur le rôle et la responsabilité de la famille qui est la matrice naturelle de l’éducation de l’enfant. Cette reconnaissance d’emblée de l’importance du rôle de la famille dans l’éducation des enfants et la transmission des valeurs morales nous semble primordial. Cependant, force est de constater que la structure familiale a de plus en plus de mal à assumer ses responsabilités. La tendance générale serait plutôt à la démission et à l’abdication devant les difficultés matérielles, les coups de boutoir d’une culture occidentale mal maîtrisée et un contexte moral postmoderne caractérisé par la perte de tout repère. De plus en plus, le modèle social est la cousine ou la fille du voisin qui ont réussi à s’expatrier et qui de temps à autre font parvenir un peu d’argent, parfois un véhicule d’occasion à leurs parents restés au pays. La référence, c’est aussi le feyman, l’oncle ou le cousin, voleur à col blanc qui s’est enrichi par la corruption, le faux et la surfacturation dans des transactions plus ou moins licites avec l’Etat. A contrario, ce vieux Monsieur honnête qu’on dit professeur d’université et qui joint difficilement les deux bouts fonctionne comme un véritable repoussoir.
Pour notre part, nous osons croire que chaque parent, chaque mère et chaque père continue à nourrir des rêves de grandeur pour sa progéniture. La question qui se pose est celle de savoir comment réaliser ce rêve dans la dignité et le respect des valeurs éthiques et morales. La réponse à cette question est elle aussi d’abord et surtout du ressort de la politique. C’est M. Paul Biya qui a mis lui – même en exergue cette relation entre la politique et l’avenir de la jeunesse avec ces mots restés célèbres « Quel Cameroun voulons – nous pour nos enfants ? ». Les parents, un père, une mère, se doivent de construire un projet de vie pour et avec leurs enfants ; ils se doivent aussi de rechercher avec eux les moyens les plus adéquats pour permettre la matérialisation de ce projet dans le respect des principes éthiques. Mais ces moyens sont d’abord ceux qui sont mis à leur disposition par l’Etat. Il est donc du devoir de chaque parent de se mobiliser politiquement pour obtenir de l’Etat les moyens nécessaires à la réalisation des ambitions qu’il nourrit pour ses enfants.
Chaque parent se doit de jouer son rôle de citoyen. Il doit avoir une claire conscience des enjeux et se déterminer en conséquence. Combattre la corruption à l’école commence par le vote des dirigeants les plus aptes à offrir les meilleures chances d’éducation à nos enfants. Ceux – là aussi qui ne ménagent pas leurs efforts pour créer des emplois. La question d’une classe politique corrompue et qui traîne des casseroles est donc de la plus haute importance. Un homme politique doit avoir une vie publique irréprochable. Il doit veiller au bonheur de son peuple auquel il doit des comptes. Combattre la corruption à l’école, c’est aussi bien élire et demander des comptes à nos hommes politiques.

BEFIDI J. Marie Bernard

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