8 février 2007

L'argent n'est pas tout

La lettre du mois
septembre 2006

L’ARGENT ET LE SEXE, PRINCIPAUX VECTEURS DE LA CORRUPTION…

Que peut-on donner pour corrompre quelqu’un. Telle est l’une des questions que nous avons posée lors d’une enquête sur la perception de la corruption par la jeunesse. Au vu des réponses obtenues, l’argent reste le principal vecteur de la corruption au Cameroun. Le sexe n’est cependant pas en reste !

39,34% des élèves interrogés citent l’argent comme principal vecteur de la corruption, « ce qui peut être donné pour corrompre quelqu’un ». Après l’argent vient le sexe qui apparaît dans notre enquête sous différentes formes et dénominations : le corps, les fesses, une partie de jambe en l’air, son derrière, son épouse, sa fille ».
Après les révélations de la presse sur les mœurs sexuelles de ceux qui nous gouvernent, on ne peut guère être surpris de voir apparaître la mention de pratiques homosexuelles dans cette enquête avec la mention très suggestive du mot « derrière ». On est par contre abasourdi d’apprendre que l’on puisse utiliser son épouse ou sa fille comme une vulgaire monnaie d’échange dans une transaction ! Abasourdi et choqué à la fois.
L’argent et le sexe : un couple infernal qui réunit à lui tout seul 65,19% des opinions exprimées. Viennent ensuite les cadeaux en nature (bien matériel, don en nature, service quelconque) :18,32% ; des victuailles (vivres, boisson) :13,92 %.

MAIS L’ARGENT N’EST PAS TOUT
L’argent ouvre toutes les portes, affirme un adage Beti. C’est dire que d’après cet adage, avec de l’argent, on peut tout se permettre, tout avoir. Ce n’est pas l’avis exprimé majoritairement par les jeunes. Heureusement !
A la question de savoir s’ils partagent l’opinion qui veut qu’au CAMEROUN, avec l’argent, on puisse tout avoir, tout se permettre, tout devenir, 61 % des élèves interrogés répondent par la négative tandis que 39% seulement répondent « oui ». Ces réponses sont à rapprocher de celles obtenues lors de l’enquête réalisée sur La corruption au Cameroun par GERDDES – Cameroun avec le concours de la Friedrich Ebert en octobre 1998. Sur un échantillon entièrement composé d’adultes de la province du Littoral et de l’Est, les réponses obtenues étaient les suivantes :

Réponses dans le Littoral Réponses à l’Est
Oui 71,4% 69%
Non 24% 25%
Sans avis 4,5% 5%

A l’évidence, ces réponses traduisent le pessimisme profond de gens qui ont longtemps mariné dans une atmosphère de corruption aggravée par l’impunité et qui n’attendent plus rien de la vie. Cette atmosphère est bien celle du règne et de la toute puissance de l’argent mal acquis que Transparency International vient dénoncer dès 1998. Dans ce Cameroun là en effet, on peut tout obtenir avec de l’argent : un job dans une entreprise, une place dans une grande école, des passe-droits dans l’administration, le retournement d’une cause perdue a votre avantage lors d’un procès, une écharpe de député à l’Assemblée…Sans compter toutes les suavités et autres plaisirs de la vie que l’argent autorise, même celui – là qui est mal acquis mais qu’on dit sans odeur :villas, automobiles de luxe, villégiatures dans les coins les plus huppés du monde, mais aussi considération et respectabilité !
Quoi d’étonnant dès lors que toute valeur soit sacrifiée au dieu argent. Pour avoir de l’argent, on est prêt à tout. Les ministres de la République s’adonnent au charlatanisme et s’attachent les services des sorciers et autres spécialistes des sciences occultes ;les époux sont prêts à sacrifier la vie de leur conjoint ou de leur progéniture pour prendre du galon dans les cercles ésotériques ;la cote de la vente des ossements ou des parties vitales du corps humain atteint des sommets à la bourse des valeurs mafieuses et criminelles ;jeunes et vieilles filles, célibataires et mariées fréquentent assidûment Internet à la recherche du « blanc », synonyme d’argent et de richesse ; la caste des fonctionnaires - hommes d’affaires fleurit et prospère plus que jamais… Il n’est pas jusqu’à l’homosexualité qui ne soit un recours pour escalader la pente abrupte ou gravir les marches infernales qui mènent au pouvoir et à l’argent. Mais les sommets, fussent-ils ceux de la mafia, des cercles ésotériques ou des milieux de la corruption, ne sont précisément pas faits pour être atteints par tous. Et devant l’arrogance de la caste des riches et des puissants qui avaient fait le choix de la délinquance et de la criminalité, les autres baissaient la tête et croyaient la cause de la moralité, du travail et de l’honnêteté entendue. Voilà bien la signification des résultats de l’enquête menée par GERDDES – Cameroun.
Heureusement, l’enquête de Voies Nouvelles vient démontrer que la démission n’est pas de mise en matière de lutte contre la corruption. Tout n’est pas perdu. Les avis exprimés par les élèves tranchent nettement avec le pessimisme des générations passées. Ils traduisent bien l’état d’esprit d’une population jeune qui aspire à utiliser ses potentialités pour réussir et mordre la vie à pleines dents. Cette jeunesse là prouve par son optimisme qu’on peut encore compter sur elle pour prendre à bras le corps l’hydre de la corruption. Comment en effet considérer que l’argent est tout quand on peut encore compter sur la force de ses muscles et de ses neurones. Comment se résoudre à courber l’échine devant la toute puissance d’un argent mal acquis, malodorant et sale. Comment se résigner à vivre dans un monde dans lequel vous sentez bien que votre travail n’a pas de prise. Ce qu’exprime la jeunesse scolaire, c’est sa volonté de faire sauter le verrou de la corruption dont ils appréhendent bien la capacité de nuisance et l’insanité.

POUR LA MAJORITE DES JEUNES, LA CLE DE LA REUSSITE RESTE LE TRAVAIL
C’est encore l’optimisme qui transpire dans les avis exprimés par les jeunes dans la question qui leur est posée sur le pouvoir de l’argent (question n°5) que l’on retrouve dans les réponses donnée à cette question sur les facteurs de réussite à un concours. Entre l’argent, la prière, les relations, le sexe et le travail, les élèves interrogés choisissent majoritairement le travail.
Réaffirmer sa prise sur le monde, sa capacité et sa volonté à peser sur son destin, telle semble être la préoccupation de la majorité de la cible de notre enquête (43,32%). Les jeunes de nos lycées et collèges semblent bien avoir assimilé la leçon du laboureur à ses enfants telle qu’elle nous est restituée par le fabuliste français Jean de La Fontaine : travailler, prendre de la peine. Avec le niveau atteint au Cameroun, la corruption avait fini par saper le moral de tous et renversé l’échelle des valeurs. Beaucoup avaient fini par croire que pour réussir à un concours, il suffisait de mettre de l’argent de côté et de chercher le réseau. On se rend heureusement compte que les jeunes gardent encore suffisamment de ressources morales pour croire et lutter : croire au travail, croire en ses capacités mais aussi lutter contre l’injustice, le vol, l’opacité, la mal gouvernance, la corruption.
Mais après avoir réaffirmé leur foi et leur croyance aux valeurs qui fondent la République et la démocratie, les jeunes n’en posent pas moins un regard réaliste sur leur milieu et plus de 26% d’entre eux reconnaissent que l’entregent, les carnets d’adresses, les réseaux, le népotisme, bref les relations en tout genre continuent à jouer un rôle très déterminant dans la réussite à un concours et la réussite tout court. Quoi d’étonnant à cela ? Le Cameroun reste en effet le pays des clans, des sectes, des confréries, des réseaux et des regroupements mafieux de tous ordres.
L’argent ne perd cependant pas entièrement sa capacité de nuisance et plus de 18% des élèves interrogés lui reconnaissent le pouvoir de faire basculer les destins. Dans ce jeu de cartes, on est étonné et agréablement surpris de constater que la prière (8,71%) est plus cotée que le sexe (3,54%). Faut-il y voir l’effet de la forte représentation des établissements confessionnels dans la constitution de notre échantillon ou la montée en puissance des nouvelles églises.

BEFIDI Jeanne Marie -Bernard

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