14 février 2007

Education:le scandale des marchés publics non exécutés

La lettre du mois
octobre 2006

EDUCATION : LE SCANDALE DES MARCHES PUBLICS NON EXECUTES

Dynamique Citoyenne, le réseau très tendance de suivi indépendant des politiques publiques et des stratégies de coopération aura –t-il levé le lièvre en commanditant une « enquête sur le suivi physicio- financier de l’exécution du budget de l’Etat 2004, secteur éducation » ? C’est en tout cas ce que laissent croire les premières informations que nous avons ramenées du terrain. Les populations de Melen – Mengang, Lékié Assi, Ovang, Nkolseng I et Meyos dans la Lékié sont tombées des nues, en apprenant que des salles de classe, des latrines et des tables – bancs avaient été alloués à leurs villages respectifs deux ans plutôt
.
Lorsque notre petite équipe d’enquêteurs mandatée par le réseau Dynamique Citoyenne pour s’assurer de la réalisation effective des projets inscrits au budget de l’Etat 2004, secteur Education, arrive dans chacune de ces localités, elle est loin de se douter de ce qui l’attend. Aboui Marie, Okala Ebode et moi-même ne pensons qu’à reprendre notre souffle et à nettoyer, dans la mesure du possible, la boue qui tache nos vêtements et chaussures. Il est en effet question de respecter à la lettre les consignes de propreté et de correction reçues au cours de notre formation d’enquêteurs à Mbalmayo quelques jours plutôt. Plus facile à dire qu’à faire cependant.
Nous sommes en effet en pleine saison des pluies en ce début de mois d’octobre, et les pistes se révèlent être de véritables parcours du combattant : pentes raides et glissantes, chaussées cabossées, ravinées et fangeuses, ponts hasardeux … Rien n’est épargné à notre petite équipe qui doit visiter cinq des sept arrondissements que compte la Lékié : Ebedda, 0bala, Okola, Monatélé, Evodoula. Plusieurs fois notre véhicule s’embourbe, c’est pourtant un 4X4, et j’en viens sérieusement à douter de mes compétences de « pilote». Le savoir-faire des chauffeurs d’opep - qui s’improvisent encadreurs pas toujours bénévoles - nous est d’un grand secours. A Nkolfep, sur la route qui mène à Meyos et Nkolseng, j’apprends que pour sortir du caniveau dans lequel ma coéquipière et moi avons été littéralement aspirés, mieux valait ne pas trop appuyer sur l’accélérateur. « Si tu veux utiliser au mieux ton réducteur, n’accélère pas, va-y le plus lentement possible, molo molo » me conseille l’un des riverains venus nous prêter main forte. Le conseil porte ses fruits ; coût de l’expertise : 1000 francs !
Heureusement qu’en ces moments difficiles, la solidarité est le maître mot dans notre équipe. Et pour mettre la cale, pousser le véhicule ou enclencher à la main le moyeu du 4x4, tous les sexes se valent. Mademoiselle Aboui Marie, la seule femme du groupe, n’hésite pas à salir sa « paire basse » neuve et à retrousser ses beaux pagnes- qu’elle destinait certainement à des scènes plus mondaines- pour entrer dans la gadoue. Une panne de lame maîtresse survenue sur le trajet Okola - Ntuissong provoquera le déplacement du train arrière de notre Isuzu Trooper. Ce mouvement entrainera le serrement intempestif du frein à main ainsi que le blocage et le chauffage exagéré d’une des roues arrière. Résultat des courses : les garnitures, les cales de frein et un pneu hors service. Une fois de plus, nous sommes obligés de faire appel à l’expertise locale pour nous sortir de ce mauvais pas. Et c’est l’occasion d’ouvrir, mon chef d’équipe et moi, le chapitre « imprévu » de notre maigre budget, sous l’œil apitoyé du directeur du CES de Ntuissong qui nous offre une bouteille d’eau minérale. Qu’à cela ne tienne ! Nous faisons contre mauvaise fortune bon coeur et le même jour, nous nous engageons sur la route de Lekié - Assi.
A un kilomètre de notre destination, le train arrière de notre véhicule se déplace à nouveau. Les conséquences sont autrement plus graves ici: le relais de cardan du pont arrière s'est cassé et le cardan lui-même est sorti de la boîte de vitesses. Ce diagnostic, Okala et moi le posons après un tour sous le véhicule, le dos et la nuque plaqués au sol trempé à souhait. L’occasion nous est donnée de mettre en valeur nos talents de mécanicien. Il est en effet question de démonter ce cardan qui nous bloque mais… nous n’avons pas les bonnes clés. M. Okala se rend au hameau le plus proche, à presque un kilomètre de distance et nous ramène la solution du problème, une douze à pipe qui vaut vraiment son pesant d’or. Je démonte le cardan. Nous nous débarbouillons dans une rivière toute proche, mais nous ne pouvons pas continuer notre enquête ce jour là. Il est bien trop tard, presque 19 heures. Le retour sur Yaoundé s’opère en utilisant les roues avant de la 4X4 grâce à la boîte de transfert. Ce n’est pas très conseillé mais enfin…
Lorsqu’il nous faut aller dans des directions opposées, le recours à la moto est de rigueur pour quelques-uns. C’est le cas à Ebebda où Mademoiselle Aboui doit aller à Melen Mengang et moi à Leyong. La moto : un moyen de locomotion très peu sûr. Mademoiselle Aboui peut en témoigner, elle qui porte encore les stigmates des chutes dont elle a été victime. Pour prendre part à la formation de Mbalmayo dans un premier temps, sur le trajet Ebebda – Melen Mengang ensuite. Et dire que nous n’avons pas pensé à contracter des assurances. Grâce à notre militantisme et notre opiniâtreté, nous arrivons tout de même dans nos différentes unités d’enquête, malgré des écueils qui en auraient fait reculer plus d’un.
Melen Mengang, dans l’arrondissement d’Ebebda : la construction de six latrines était prévue. Une salle de classe dûment équipée en tables bancs devait aussi être mise à la disposition des populations. Première visite, première surprise : rien, absolument rien de tout cela n’a été fait. Pas de salle de classe construite, pas de tables bancs, pas de latrines. Seconde surprise : les élèves sont assis sur… des troncs d’arbre, en plein vingt-et-unième siècle, et à une centaine de kilomètres seulement de la capitale. On croit rêver ! Inutile de demander au directeur qui est au moins aussi surpris que nous, même si c’est pour des raisons différentes, s’il est au courant que des crédits avaient été débloqués pour la construction d’une salle de classe, son équipement en tables bancs et la construction de six latrines. La question lui est tout de même posée (C’est précisément l’objet de notre descente sur le terrain n’est ce pas ?) La réponse à laquelle nous nous attendons nous est donnée : M. le directeur n’est au courant de rien. Personne d’ailleurs n’est au courant de rien ; ni lui, ni aucun autre membre du conseil d’établissement, ni aucun riverain. Pour faire fonctionner sa petite structure qui ne paye pas de mine et qui compte quatre enseignants dont lui-même et trois maîtres payés par l’association des parents d’élèves, il n’a reçu de l’Etat que 20 000 FCFA en tout et pour tout. C’est en fait le petit budget de l’association des parents d’élèves qui fait vivre l’école. Dans ces conditions, demander si celle-ci dispose d’une bibliothèque, d’un laboratoire, d’une salle du personnel, d’une cantine scolaire ou tout simplement d’une pharmacie d’urgence semble de la provocation.
Ecole publique de Leyong, toujours dans l’arrondissement d’Ebebda . Ici les choses se présentent sous un meilleur jour. La salle de classe prévue est bien là. C’est malheureusement la seule bonne nouvelle à consigner dans nos calepins d’enquêteurs car, pour le reste, rien n’a été fait. Il n’y a ni latrines ni tables- bancs. Bien sûr, M. le directeur n’a été mis au courant du projet de construction de la salle de classe que le jour où l’entrepreneur a débarqué pour l’installation du chantier. D’ailleurs, les membres du conseil d’établissement et les riverains n’étaient pas plus informés que lui.
Meyos, dans l’arrondissement d’Evodoula. Deux salles de classe sont en chantier…mais celles – là ne nous concernent pas ; elles ne rentrent pas dans le cadre de l’exercice 2004. Donc, pour ce qui nous concerne, pas de salles de classe sur les deux attendues ; pas de latrines et pas de tables – bancs. Zéro pointé en somme. Les membres du conseil d’établissement nous signalent que les charpentes des deux salles de classe en construction sont en bois blanc. Ce n’est pas normal et ils s’en sont plaints auprès de l’entrepreneur.
Nkolseng I: La situation est quasi identique. Deus salles de classe équipées attendues ainsi que six latrines. Rien de tout cela n’a été fait. On constate cependant un chantier abandonné avant l’an 2000. Le marché avait été attribué à un prêtre de l’Eglise Catholique, l’abbé A. ABEGA, une vieille connaissance…une fripouille doublée d’un escroc qui a eu à séjourner quelques temps à Kondengui, la célèbre maison d’arrêt de la capitale.
Ovang : deux salles de classe équipées en tables bancs attendues. Les salles de classe n’ont pas été construites, mais 30 tables bancs sur les 60 attendues ont tout de même été livrées.
Lekié Assi : Deux salles de classe équipées attendues. Rien n’a été fait.

Au total, sur les dix salles de classe dont la construction et l’équipement étaient prévus, une seule a été construite. 30 tables bancs seulement ont été achetées sur les 300 attendues, aucune latrine n’a été aménagée sur les 24 prévues. Compte tenu des conditions dans lesquelles les élèves et les enseignants évoluent dans ces milieux, de tels manquements nous semblent tout simplement criminels. Dans la plupart de ces écoles, les locaux ont été construits en matériaux provisoires par les parents eux –mêmes. Nulle part nous n’avons trouvé de latrines dignes de ce nom. Dans la plupart des cas, ce sont les associations des parents d’élèves qui supportent le salaire des trois quart au moins des enseignants. Ils ne sont jamais plus de quatre dans les écoles publiques visitées, directeur compris, même pour des établissements à cycle primaire complet. Et tous les établissements visités étaient à cycle complet ! Que dire des frais de fonctionnement alloués aux directeurs d’école, sinon qu’ils sont dérisoires, symboliques. Comment dans ces conditions parler d’école primaire gratuite au Cameroun puisque, aussi bien, notre expérience du terrain nous permet d’affirmer que ce sont les parents d’élèves qui contribuent le plus à la vie de leurs écoles. Mais alors quelle vie !

Otombita Neville Chamberlain


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