7 février 2007

Le langage de la corruption chez les jeunes(suite)

La lettre du mois

juillet 2006

LE LANGAGE DE LA CORRUPTION CHEZ LES JEUNES (suite)

Une enquête menée par Voies Nouvelles sur la perception de la corruption par la jeunesse révèle que pour parler de la corruption, les jeunes puisent dans les registres les plus variés, et le recours aux langues locales tient ici une place de choix, ainsi que le jargon des NTIC.

Ainsi, le mot mimbo trône depuis des lustres dans le royaume lexical de la corruption et signifie vin en « pidjin », une adaptation locale de l’anglais. Le vocable ndjaraba évoque quant à lui une idée de cadeau, de bonus qu’on obtient lors d’une négociation ou d’un achat. Ce vocable a pris naissance dans les milieux du marché de sable de la ville de Yaoundé des années 80 ; il y désignait quelques pelletées offertes en prime à l’acheteur. Le mot a prospéré et s’est étendu au monde des «affaires » troubles pour désigner tout profit, licite ou illicite. Les termes fey, feymania ou frappe ont quant à eux une connotation nettement plus amorale. Ils renvoient à une tentative réussie ou non d’escroquerie. A cette référence à l’escroquerie, le sissia ajoute une idée de pression, d’intimidation et de chantage pour obtenir de son interlocuteur quelque avantage indu. Eboarzel est un mot emprunté au patrimoine linguistique Beti (populations du Centre, de l’Est et du Sud Cameroun). Il est l’équivalent local et littéral de l’expression « mouiller la barbe ». Le ndjo’o fait référence à quelque chose qu’on obtient sans effort et sans contrepartie. Le Koumba fait référence à de faux actes d’état civil. Koumba est la forme francisée de Kumba, nom d’une ville du Sud-Ouest Cameroun particulièrement réputée dans l’établissement frauduleux des actes administratifs, et singulièrement des actes de naissance, pour satisfaire aux conditions d’âge exigées dans les différents concours et dossiers administratifs. Le ndjangui signifie tontine. Très répandu dans la société camerounaise, cette pratique consiste à cotiser des sommes d’argent et à les remettre dans la plupart des cas à l’un ou l’autre membre du groupe des cotisants. Autre vocable très populaire: le gombo. Ce terme désigne un condiment très prisé dans la cuisine camerounaise. Son usage a connu un essor fulgurant depuis qu’il est associé à l’idée de gain réalisé par les journalistes et autres professionnels des média en dehors de leur salaire ou de tout autre émolument classique. En tant que condiment, le gombo a la particularité de rendre les sauces gluantes et de faciliter ainsi la déglutition. C’est probablement en référence à cette propriété qu’il fait aujourd’hui partie du vocabulaire très « in » de la corruption. Le « gombo » n’est-il effectivement pas là pour « faciliter » les rapports entre corrupteurs et corrompus ?
Autre source d’inspiration majeure de la jeunesse, le recours au langage des nouvelles techniques de l’information et de la communication. Code PUK, grattage, mot de passe et réseau font en effet partie du langage courant de la téléphonie mobile. Le code PUK sert à débloquer les cartes SIM qui jouent un rôle d’interface entre l’opérateur et le client. En règle générale, deux modes de facturation sont proposés par les opérateurs: une facturation classique et l’achat de cartes prépayées. Dans le premier cas, le client paye ses consommations à échéances fixes après présentation d’une facture. Dans le second, il achète une carte prépayée qu’il faut « gratter » pour découvrir un « code » qui vous donne le droit de communiquer pour le montant correspondant à la valeur faciale de la carte prépayée. Il faut relever qu’aucune communication n’est possible tant qu’il n’y a pas de « réseau », c’est-à-dire la garantie technique d’interconnections entre les différents usagers. Qu’il s’agisse de téléphonie mobile ou de services informatiques tels qu’Internet, la confidentialité et la sécurité sont de rigueur, d’où la nécessité de « mots de passe » qui sont des clés d’accès personnalisées pour filtrer l’accès à ces services. A l’évidence c’est ce caractère confidentiel, face à face, intime, presque secret de l’accès aux services offerts dans le cadre des NTIC que les jeunes ont retenu et transféré dans leur vocabulaire de la corruption.
Parler de « code » implique en effet un savoir, des possibilités de communication et donc un pouvoir qui fait du détenteur du code un privilégié. Détenir le code, c’est faire partie du réseau de ceux qui savent, de ceux qui traversent les différents écueils qui se dressent sur leur route quand les autres ne peuvent progresser et restent bloqués, précisément à cause de leur ignorance du code qui consacre leur non appartenance au réseau. Les mots et expressions « vision, visionnage, visionne-moi après » font eux aussi clairement référence aux NTIC. Le visionnage évoque un spectacle projeté sur un écran par un moyen ou un autre. Il est synonyme de visibilité. Et pour celui qui traite le dossier, il est la garantie que ses intérêts personnels ne sont pas négligés par l’usager. Le visionnage bat en brèche l’idée reçue d’un traitement anonyme des dossiers dans les services publics. Il traduit plutôt la nécessité d’une relation de face à face entre le fonctionnaire et l’usager, le corrupteur et le corrompu, tant il est vrai que l’anonymat et l’absence de contacts personnels sont les pires ennemis de la corruption.

BEFIDI Jeanne Marie Bernard
Professeur de philosophie
Présidente de Voies Nouvelles



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